Le Maréchal Suchet
occupants. De Nice, le 6 juin, il parvint à Savone en deux étapes, mais, le soir, un parlementaire autrichien, accompagné d’un adjudant général français, se présenta aux avant-postes pour le prévenir que Masséna littéralement à bout de vivres avait capitulé. Suchet arrêta donc sa progression quoique son corps d’armée n’eût pas été compris dans les termes de la convention. En même temps, il prenait ses dispositions pour poursuivre la campagne et avancer vers le nord afin d’aller renforcer l’armée de réserve. Mais, pour cela, il lui fallait obtenir l’autorisation de Masséna.
Celui-ci avait quitté Gênes par mer et débarqua à Finale le 13 juin, où Suchet vint l’accueillir. Ce furent des embrassades et des congratulations réciproques, mais lorsque Suchet exposa son plan pour se porter en avant afin de rejoindre Bonaparte, Masséna y opposa son veto. Très fatigué, victime d’une chute durant la traversée, il estima avoir besoin de repos et ne voulait pas laisser Suchet aller seul dans le nord et s’y couvrir de gloire. Aussi, était-il dans une disposition d’esprit telle qu’il se souciait peu pour l’heure d’aider Bonaparte. « J’en ai assez fait pour ce petit bougre-là ! » aurait-il confié à son état-major, estimant que de son côté le Premier consul n’avait pas tenu ses promesses de lui envoyer renforts et approvisionnements pendant le siège.
Furieux, Suchet expédia sans rien dire son chef d’état-major Préval prévenir Bonaparte que si l’armée d’Italie demeurait immobile, c’était uniquement la faute de Masséna. Préval partit donc le 14 ou le 15 juin mais s’arrêta en route et rebroussa chemin en apprenant la victoire de Marengo. On ne sait comment cette mauvaise langue de Thiébault, attaché à ce moment à l’état-major de Masséna, apprit ce mouvement de colère et de dépit de Suchet ; mais il l’a rapporté à sa manière dans ses mémoires, en couvrant Suchet de reproches.
La victoire de Marengo fut suivie d’un armistice qui allait de prolongations en prolongations durer jusqu’en novembre. Avant de quitter l’Italie, Bonaparte confirma Masséna dans son rôle de commandant en chef de l’armée. Suchet, qui avait compris que les avantages et les promotions se décideraient à Paris, demanda à être muté en France. Après avoir donné un accord de principe, Masséna revint sur sa décision et décida de le maintenir en Italie, à la tête d’un corps de deux divisions. Sans doute avait-il été mis au courant de ce qu’il pouvait considérer comme une petite trahison.
Suchet avait eu l’honneur d’entrer à Gênes, tambour battant et enseignes déployées à la tête des troupes françaises (24 juin) ; puis il avait reçu pour sa brillante conduite et la manière dont il avait mené les opérations une lettre de félicitations de Carnot dans le style emphatique et pompier de l’époque : « La France a les yeux fixés sur le nouveau passage des Thermopyles ; plus heureux et non moins brave que les Spartiates, vous avez su vaincre, général… » Le reste était de la même eau.
Un peu plus tard, il reçut de Paris sa confirmation dans les fonctions de lieutenant général du général en chef. Mais la décision datait du mois de mars ! Ce n’était en rien une récompense pour la manière dont il avait dirigé son corps d’armée. Dans l’ensemble, les promotions étaient fort maigres mais l’armée d’Italie compterait bientôt cinq lieutenants généraux.
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Depuis qu’il avait pris le pouvoir, Bonaparte, imitant en cela les anciens directeurs, était obnubilé par la crainte de voir un des généraux de la République aussi bon, sinon meilleur stratège que lui, se mettre à la tête de ses troupes et marcher sur Paris pour le renverser. Masséna faisait partie de ce nombre. Et il fournit au Premier consul l’occasion de se débarrasser de lui. Il faut souligner que le gouvernement français lui tendit la perche. Dès le début, Masséna eut des occasions de se plaindre. Dans la convention d’armistice signée entre la France et l’Autriche après Marengo, il avait été stipulé que les Autrichiens pourraient évacuer à leur profit les magasins de vivres demeurés en territoire occupé par les Français. Or, Melas ne disposait pas des moyens de transport nécessaires pour les enlever. Il proposa donc à Masséna de les lui vendre. Consulté, le Premier consul donna son accord, pourvu
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