Le Maréchal Suchet
car le gouvernement avait en tête de la réorganiser en profitant de la longue période de paix qui, pensait-il, allait s’installer en Europe. Suivant le duc d’Albufera, cette institution aurait dû être articulée en trois parties : les retraités qui recevront leur congé à condition d’avoir obtenu des félicitations pour leur service ; l’armée active, la partie la plus importante ; la réserve, une innovation, en quelque sorte une copie de ce qui existait déjà en Prusse, formée de bataillons provinciaux subissant un entraînement permanent et où l’armée active aurait le loisir de puiser des unités de remplacement dont elle pourrait avoir besoin. Le duc de Berry, à qui le projet plut, le soutint fermement devant le roi et le ministère, mais la suite des événements ne permit pas de le matérialiser.
En fait, Suchet résida peu à Caen. Les troupes cantonnées dans cette région étaient peu nombreuses et bien entraînées. En dehors de quelques revues, son travail consistait essentiellement à un rôle de représentation et des liaisons avec les autorités civiles.
Si Suchet eut des contacts répétés et nombreux avec les hommes de la famille royale auprès de qui ses bonnes manières et ses jugements pondérés étaient appréciés, en revanche, lui et sa femme fréquentèrent peu la cour. Les anciens émigrés et leurs épouses supportaient assez mal cette nouvelle noblesse d’Empire. Ces dames qualifiaient les maréchales de « cuisinières de Bonaparte ». D’ailleurs, après avoir été tant d’années sur la brèche, le maréchal estimait avoir besoin d’un peu de repos. Et puis, il savait que dans certains milieux royalistes plusieurs personnes avaient gardé en mémoire le souvenir de l’affaire de Bédoin même si elle remontait à plus de vingt ans. Ceci l’incitait à une certaine prudence et à garder un profil bas. Il fut tout de même fait commandeur de l’ordre de Saint-Louis, le 24 septembre 1814, le même jour que Soult. C’était une promotion encore rare parmi les maréchaux.
Il estimait que la 14 e division militaire ne présentait aucun intérêt et s’en plaignit au général Dupont. Un des derniers actes de ce dernier en tant que ministre et avant qu’il ne quittât son poste fut de signer, avec évidemment l’accord du roi, le transfert de Suchet de Caen à Strasbourg à la tête de la 5 e division militaire (30 novembre 1814). Le fait d’attribuer à Suchet un poste d’une extrême importance qui avait été occupé jusqu’à ce jour par le vieux maréchal Kellermann (il avait soixante-dix-neuf ans) plut énormément à tous les responsables de l’armée. Ils estimaient les capacités du duc d’Albufera à leur juste valeur et, comme une crise européenne semblait sur le point de se dessiner, ils pensèrent que la présence de Suchet à Strasbourg ne pourrait être que bénéfique. Avant son départ, au début de décembre, Suchet eut un entretien avec le nouveau ministre de la Guerre qui n’était autre que Soult. Leurs rapports demeuraient guindés et Suchet regrettait certainement Dupont qui avait toujours répondu favorablement à ses demandes, mais l’heure n’était pas aux velléités de chacun. Soult le mit au courant de l’évolution des mentalités au congrès de Vienne et des conséquences qu’il y avait lieu d’en tirer.
À Vienne, les alliés s’étaient retrouvés en congrès pour remodeler l’Europe suivant leurs intérêts respectifs. La France avait été invitée à se joindre à eux mais en tant que spectatrice pour s’entendre dicter leurs volontés sans avoir la possibilité de les discuter. La grande habileté de Louis XVIII avait été de désigner Talleyrand qu’il n’aimait pas (et ce sentiment datait d’avant la Révolution) pour le représenter. Celui-ci, ravi d’occuper à nouveau le devant de la scène, avait déployé toute son habileté pour défendre les intérêts de son maître et de son pays.
Partant du principe que la coalition avait eu pour objectif d’abattre Napoléon, Talleyrand avait fait admettre que la France de Louis XVIII n’avait aucun point commun avec celle de l’usurpateur. Dès lors, n’était-il pas normal qu’elle siégeât au congrès dans les mêmes conditions et avec les mêmes droits que les autres participants ? La belle entente entre les alliés n’avait pas résisté longtemps à certains désirs d’expansion territoriale. À l’automne, ils s’étaient
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