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Le mariage de la licorne

Le mariage de la licorne

Titel: Le mariage de la licorne Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Marie Bourassa
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venu du fond des âges, disait la voix aimée de Lionel dans une forêt comme l’enfant n’en avait jamais vu. On dirait qu’il touche le firmament.
    Et la petite fille levait bien haut les yeux et constatait que, effectivement, la ramure du géant moussu s’était prise dans un petit nuage qui ne savait plus quoi faire. La mousse très verte qui tapissait le tronc et les racines à fleur de terre était fraîche au toucher. Elle était aussi douce qu’un tricot délicat. Peut-être avaient-ils atteint la mystérieuse forêt de Brocéliande*.
    Jehanne opinait à ce que lui disait la voix aimée, même si en fait elle ne s’apercevait pas tout à fait du changement. Elle n’allait le voir que des années plus tard, en se remémorant ce voyage. Pour le moment, sa mémoire s’ouvrait comme un rideau discret devant une scène aux planches neuves et vernies de frais. Peu à peu, chacun de ces mots nouveaux, de ces noms d’endroits et de ces précieux fragments de paysages allaient revenir s’inscrire dans son herbier.
    La brise nostalgique charriant une odeur particulière de pluie et de terre avait le don de toujours ramener aussi fidèlement Lionel à un certain jour d’été d’il y avait plus de trente ans ; il pouvait sentir de nouveau la tiédeur de la dalle en pierre sous ses orteils nus et il pouvait revoir avec la même acuité le dessous translucide des feuilles du lilas qui, tel un ciel de lit*, s’amusait à jouer au vitrail avec le soleil.
    Lionel s’assit sur un rocher et posa près de lui la besace et le bourdon qui étaient ses insignes de pèlerin. Ces objets avaient été bénis à sa paroisse natale de Saint-André-des-Arcs, à Paris, le matin même de son départ. Jehanne, quant à elle, était en charge de leur gourde d’eau. Pour plus de sécurité, au premier lieu de pèlerinage qu’ils avaient atteint, le moine s’était procuré une enseigne de pèlerin. Ainsi, il pouvait profiter de tous les avantages reliés à son état. Il était exempt d’impôt et de droit de passage. Les biens qui étaient sous sa responsabilité avaient été mis, disait-on, sous tutelle épiscopale en attendant son retour. On parlait d’une boulangerie, même si cela ne tenait pas debout. Il y avait cependant quelque chose qui clochait dans cette rumeur : nul n’avait jamais entendu dire que le père Lionel s’était occupé de gérer les biens d’autrui. Lui-même n’avait été vu à proximité d’aucune boutique et l’abbé Antoine faisait celui qui n’avait entendu parler de rien.
    Les deux pèlerins voyageaient léger. Il n’était nul besoin de se charger d’une tente et de couvertures puisque les relais ou les hospices émaillaient leur route et que, là où il n’y en avait pas, le dessous d’un pont pouvait très bien faire l’affaire. Mais, l’automne venant, seuls les plus démunis partageaient ces abris précaires avec la bise. En général et même par beau temps, Lionel et Jehanne dormaient peu à la belle étoile. Dans la mesure du possible, le moine se munissait d’une carte identifiant les points d’eau potable de la région qu’ils parcouraient. Il s’était aussi fait délivrer un sauf-conduit par une autorité ecclésiastique ; il eût aussi pu faire la demande de ce document auprès d’une autorité civile. Car il était des seigneurs sur les terres desquels un pèlerin pouvait passer sans reparaître à l’autre bout, victime de voleurs ou de canailles engagées par les féodaux pour prévenir les intrusions ; trop nombreux étaient les vagabonds ou les bandits qui adoptaient volontiers l’humble vêture du pèlerin pour aller commettre leurs forfaits en toute impunité.
    Le relais où ils s’étaient arrêtés pour se restaurer et se réchauffer un peu était plein de monde. La plupart des clients étaient des hommes. C’étaient tous des manants, probablement des forestiers.
    On reconnaissait encore chez certains des caractéristiques de leurs aïeux vikings.
    La femme de l’aubergiste leur servit à chacun une écuelle de potage bien chaud et du vin qui avait été coupé d’eau à la demande du moine. Jehanne avait commencé à se familiariser avec le goût du vin : parfois, l’eau seule n’était pas bonne à boire.
    Tandis qu’ils trempaient un peu de pain dense et sec dans leur bouillon pour le ramollir, la matrone fit remarquer au grand échalas qui semblait être le tuteur de la petite dont les cheveux, étrangement, étaient taillés à

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