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Le mariage de la licorne

Le mariage de la licorne

Titel: Le mariage de la licorne Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Marie Bourassa
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l’écuelle comme ceux d’un garçon :
    — Cette enfant est bien jeunette pour prendre la route comme ça, et juste avant les neiges, je vous demande un peu !
    Avant que Lionel ait eu le temps de songer à une réponse, Jehanne dit :
    — Moi, j’aime bien voyager. Il y a des arbres qui attrapent des nuages, et les gens, ils sont gentils.
    La femme et quelques clients eurent pour elle un rire attendri. La matrone répondit :
    — Voilà qui fait du bien à entendre, même pour ceux qui ne le sont pas, gentils !
    À une table voisine, un rustaud barbu leur jeta un regard de côté. Lui, il ne semblait pas disposé à rire.
    Lionel avait grande hâte d’arriver à destination ; il s’agissait d’un hameau fantôme nommé Aspremont (3) qu’ils devaient atteindre assez tôt le lendemain si le temps s’y prêtait. Mais en même temps il appréhendait cet instant plus que tout au monde.
    La première chose que Jehanne vit d’Aspremont ne fut pas le village, mais le ruisseau. L’agglomération elle-même était un hameau étriqué perché sur le flanc du coteau en haut duquel ils se trouvaient et dont les masures étaient désertées. C’était un clair avant-midi comme seul savait en concocter un automne guidé par son expérience d’artiste vieillissant. Sous un ciel parfaitement bleu que décoraient deux ou trois petits nuages espiègles mais assez prudents pour éviter la cime des arbres, le minuscule cours d’eau ressemblait à un ruban de verre agrémenté d’une infinité de cailloux longuement polis. Chacun d’eux constituait une trouvaille en soi. Lionel s’installa au pied d’un saule qui s’inclinait avec révérence au-dessus de l’ombre qu’il produisait lui-même. Tandis qu’il lisait quelques pages d’un précieux livre qui lui avait été offert par son ami Nicolas Flamel (4) , l’enfant batifolait dans l’eau tiédie par le soleil omniprésent. Rien ne pressait, après tout.
    — Père Lionel ! entendit-il appeler après un moment.
    Il leva les yeux. Jehanne s’en venait vers lui, tenant précautionneusement ses mains en coupe à hauteur de la poitrine. Un filet d’eau claire en coulait sans qu’elle s’en rende compte et mouillait sa jupe.
    — Tenez. Goûtez comme c’est bon, dit-elle en lui présentant ses mains.
    Lionel dut refermer précipitamment son livre avant qu’il ne fût éclaboussé. Il rit tout bas :
    — Tes vêtements y ont goûté bien plus que je ne le pourrai, à ce que je vois.
    — Oh…
    Jehanne se pencha, toujours sans ouvrir les mains, pour regarder la longue traînée humide qu’elle avait sur le devant de sa robe. Elle constata le peu d’eau qui lui restait encore dans les mains. Au lieu de la boire elle-même, elle la versa avec tendresse sur une feuille morte de couleur rouille.
    — Ainsi, elle va repousser, dit-elle.
    Elle se mit à caresser la feuille. C’était là une offrande instinctive, presque rituelle, qui illustrait avec une perfection absolue ce vers quoi devait mener ce voyage. Lionel dut replonger le nez dans son livre. Jehanne ne devait pas voir que l’eau destinée à la feuille avait, par l’effet de quelque magie de Brocéliande*, humecté les yeux du moine.
    *
    Arnaud d’Augignac avait cette propension à effleurer les toits du bout des ailes sans jamais se résoudre à s’y poser. Lorsqu’il était arrivé à son domaine d’Hiscoutine (5) six ans plus tôt, il n’y était pas demeuré plus d’un mois. Il s’était contenté d’y laisser trois de ses cinq serviteurs et quelques objets personnels dont il disposait encore – parmi lesquels la gente Dame, l’épée ayant appartenu à Garin de Beaumont – avant de disparaître dans la nature. Il n’y revenait qu’à l’occasion, et toujours lorsqu’il avait besoin de quelque chose, que ce fussent des victuailles, un peu d’argent ou des médicaments. Graduellement, ses absences se prolongèrent. Une fois, ses gens passèrent onze mois sans recevoir de ses nouvelles.
    Ils étaient cinq à habiter au manoir, mais seulement trois d’entre eux étaient des serviteurs d’Arnaud. Il y avait Margot, la gouvernante, ainsi que son mari, un homme efflanqué, doux de tempérament, à la barbichette grisonnante. Il s’appelait Hubert et avait été jardinier. La troisième personne était leur dernière fille, Blandine. Rondelette et taquine, elle se plaisait n’importe où pourvu qu’il y eût une cuisine bien approvisionnée et quelqu’un à

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