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Le mariage de la licorne

Le mariage de la licorne

Titel: Le mariage de la licorne Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Marie Bourassa
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que pour devenir grand et fort comme vous il faut tout manger ce qui nous est servi, même les trucs qu’on n’aime pas ?
    Louis jeta un coup d’œil effaré à son écuelle vide. Il mâchait encore une grosse bouchée de pain dont l’arôme lui troublait l’esprit : c’était le même que celui de son enfance. Un pain de froment parfait, exquis et fondant, de ceux qui avaient fait la réputation des Ruest.
    — Euh…
    Clémence essayait d’attirer son attention sans être vue des enfants en lui mimant de grands signes d’assentiment. Louis déglutit un peu trop vite et manqua s’étouffer. Il toussa avant de dire, d’un ton enroué :
    — Eh bien, à vrai dire, je… moi, je mange de tout, alors…
    — Arrête de me donner des coups de pied sous la table, dit le garçon à sa sœur.
    — Ça suffit, les enfants. Tenez-vous bien, dit Hugues.
    — J’ai une question, moi aussi, dit la fillette à leur hôte.
    Elle attendit poliment un signe de sa part avant de la lui poser.
    — Êtes-vous le même Louis qui vivait ici et qui était très sage et qui savait faire le meilleur pain de tout Paris ?
    Desdémone s’étouffa dans son bol de tisane. Les parents adoptèrent une posture rigide, mais n’intervinrent pas. Sans la toux de Desdémone, le silence eût été total, accablant. Car Louis n’arrivait pas à répondre. Il regarda autour de lui ; rien n’avait changé. Il était persuadé que toutes les autres pièces de la maison étaient restées les mêmes. Ses souvenirs de petit garçon se mirent à longer les murs. Le regard fixe, il posa son quignon de pain près de son plat et se redressa quelque peu. Sa voix intérieure, celle de l’homme qu’il était devenu, fit peur au petit garçon qu’il avait été et le fit disparaître : « Ta place n’est plus ici. Ne touche à rien et repars bien vite. » Oui, il était temps de partir d’ici. De laisser à d’autres ces lieux qu’ils pouvaient voir d’un œil neuf.
    La fillette semblait fascinée par le trouble qu’elle avait causé en lui. Elle attendait, avide, prête à boire chacun de ses mots. Desdémone aussi. Hugues et Clémence se concentraient sur un essuyage pointilleux de leurs écuelles avec leur morceau de pain. Louis dit :
    — Non. Ce n’est pas moi. L’autre est mort il y a longtemps…
    Il remarqua qu’Hugues lui jetait des coups d’œil anxieux pendant qu’il essayait de trouver une cause plausible à ce décès.
    –… de la peste, précisa Louis.
    Les trois adultes parurent soulagés et exhalèrent un soupir. La fillette se remit à agacer les jambes de son frère avec le bout de son pied, en disant :
    — Tu vois, je te l’avais bien dit que le papy ne nous avait pas menti.
    Une fois les enfants couchés – au moins une heure plus tôt que d’habitude, ce qu’ils furent loin d’apprécier – Clémence s’absenta un court moment pour aller au fournil pendant que les deux hommes s’attardaient à table en compagnie de Desdémone pour bavarder. À son retour, les sujets de conversation étaient épuisés et Louis manifestait tous les signes d’un départ imminent. Sans dire un mot, sa sœur par alliance lui remit un petit paquet soigneusement enveloppé dans une retaille de tissu. Intrigué, Louis le posa sur la table et le déballa. C’était une terrine. Elle contenait des ferments de levain. Le géant, les deux coudes appuyés sur la table et la terrine inclinée vers lui, resta figé. Hugues et Desdémone ne le quittèrent pas des yeux. Clémence lui dit doucement :
    — Père et les Pénitents… quand ils t’ont emmené… je suis restée derrière et j’ai pu retrouver le pot. Au campement, dans la tente de Père. C’est la même souche, Louis.
    Le bourreau ne bougea toujours pas. Il ne dit rien. Mais il renifla et ses yeux s’emplirent de larmes.
    Le lendemain à l’aube, dans la cour, avant que l’équipage ne se mette en route pour Caen, Tonnerre trépigna de joie au contact rassurant de la grande main sur son museau.

Chapitre II
Vitis vinifera
    (La vigne)
    Quelque part en Normandie, fin octobre 1358
    Pas très loin du château de Ganne, en Normandie, l’enfant avait découvert un horizon bordé de collines assez tourmentées qui donnaient envie d’aller voir ce qu’il pouvait bien y avoir de l’autre côté. Les landes et les bruyères ne pouvaient assurément être les mêmes que là où ils se trouvaient.
    — Le paysage change. Vois comme est grand cet arbre

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