Le mariage de la licorne
d’Aspremont n’était pas unique : partout à travers le royaume les campagnes se vidaient. Des villages entiers s’étaient dépeuplés et gisaient, abandonnés, dans leurs nids de labours hérissés d’arbrisseaux sauvages.
Margot et Blandine avaient apporté à la maison un peu de la chaleur hospitalière du Midi ainsi que la touche féminine qui lui avait jusque-là fait défaut. Cela avait débuté par un ménage en règle dans le corps de logis, les combles et l’appentis, pour se conclure par l’aile des serviteurs qui avait été récurée et calfatée tant et si bien qu’elle était redevenue habitable. Sur l’insistance de Margot, ils y avaient emménagé tous les cinq, car, avait dit la gouvernante, il était inconvenant pour des domestiques d’accaparer les quartiers du seigneur.
— Par les couilles desséchées d’un moine, nous ne sommes pas des domestiques, et le seigneur, ce fat, préfère les chemins pleins d’ornières à la chaleur de l’âtre, avait bougonné Aedan.
— Et moi, je veux que les chats puissent aller et venir comme avant, avait réclamé Sam.
Sous les combles, il avait trouvé moyen d’en cacher plusieurs qui, l’un après l’autre, en avaient été délogés à coups de balai par la grosse femme. Sam lui-même avait eu droit à sa part. Lorsque Margot l’avait pourchassé à travers la maison, le balai lui avait fait des auréoles poussiéreuses autour de la tête.
Après avoir soigneusement recouvert la toiture de l’aile avec du chaume neuf et aromatique, Hubert s’était occupé de la grange. À partir de ce moment, brebis et volailles n’avaient plus eu accès à la demeure. Margot avait pu balayer leurs crottes à l’extérieur. Sam avait été soulagé que l’instrument fût occupé autre part : sa tête n’en pouvait plus.
Le gamin était loin de se douter que, sous peu, son univers allait être considérablement modifié.
*
Ils arrivèrent au domaine alors que ses habitants s’étaient mis à pied d’œuvre pour s’assurer de quoi passer l’hiver. Les hommes étaient partis de bon matin braconner en forêt. Les femmes cueillaient fruits et noix sauvages dans le bois non loin de la maison. Seul Sam était resté dans la cour pour fumer du poisson. Ce fut lui qui, le premier, vit le chariot cahoter péniblement dans l’allée bordée de peupliers. Il se pencha légèrement afin de mieux l’épier derrière son écran de fumée étouffante : deux cavaliers escortaient ce chariot qui était conduit par un petau* maussade. Quelqu’un était étendu dedans.
Sam détala en direction du bois en appelant de toutes ses forces.
— Margot ! Margot ! Le seigneur est blessé !
Alors que Thierry et Toinot entraient dans la maison en transportant le jeune noble inconscient afin de l’étendre sur le lit de la chambre des maîtres, Margot, Blandine et Sam entraient à leur tour, hors d’haleine.
— Comment est-ce arrivé ? demanda la gouvernante, horrifiée. Arnaud était gravement blessé à la tête. Ses cheveux et la moitié de son visage étaient couverts de sang. Celui-ci avait séché en croûtes noirâtres. On eût dit qu’il avait reçu un coup de pic.
— Les routiers, dit simplement Toinot avant de sortir de la chambre.
— Je ne comprends pas. N’était-il pas des leurs ? demanda Margot à Thierry qui était resté.
— Si. Mais il s’est montré trop arrogant avec l’un de leurs chefs. Je l’avais pourtant prévenu de se garder d’eux. Les routiers n’ont pas d’amis. Ils n’écoutent que leur convoitise.
Blandine apporta une bassine d’eau chaude et des linges. Margot entreprit d’examiner le blessé. Thierry se laissa tomber sur un banc et regarda sans un mot la gouvernante travailler. Blandine avait quitté la chambre, livide, une main sur la bouche.
Après un long moment que seule l’eau rougissante du bassin meubla de ses clapotis, la gouvernante se tourna vers Thierry et dit tristement :
— Le voilà au moins lavé de frais et sa tête est proprement pansée. Je crains de ne pouvoir faire mieux. Il a le crâne ouvert.
— Je sais. Il est perdu.
Arnaud n’avait réagi à aucune de ces manipulations. Il ne se réveilla plus. Au crépuscule, son âme profita du bruyant retour des chasseurs pour filer en douce. Une heure entière s’écoula avant que quelqu’un s’avise de retourner dans la chambre pour l’y découvrir sans vie.
Margot broda hâtivement le linceul à partir de l’un des
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