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Le mariage de la licorne

Le mariage de la licorne

Titel: Le mariage de la licorne Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Marie Bourassa
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meilleurs draps de la maison, malgré le fait que l’hiver de ce pays s’annonçait précoce, rigoureux, et qu’en conséquence ils allaient sans doute avoir grand besoin du peu de linge qu’ils possédaient. Les domestiques avaient étendu le corps rigide d’Arnaud sur la table.
    La veillée funèbre débutait à peine lorsqu’on cogna à la porte.
    — Laisse, j’y vais, dit Hubert avec méfiance.
    Hormis Arnaud et ses deux acolytes, personne ne montait jamais au domaine. Il était donc d’autant plus inquiétant de recevoir une visite le jour même du trépas du jeune seigneur.
    Un grand moine était planté sur le seuil, tenant la main d’une fillette.
    Lionel s’était préparé à dire tout d’un trait à la personne qui allait ouvrir : « BonjourJe-suis-le-père-Lionel-Le-Muet-de-l’abbaye-de-Saint-Germain-des-Prés. Je-suis-chargé-de-ramener-Jehanne-d’Augignac-ici-présente-à-son-père-légitime… » C’était faux, bien entendu, mais cela importait peu de toute façon : son petit discours lui resta pris dans la gorge lorsqu’il aperçut le corps sur la table.
    — Doux Jésus, miséricorde, dit-il.
    D’instinct, Hubert s’écarta un peu afin de permettre à l’ecclésiastique de mieux voir. Le mort reposait, les mains croisées sur son ventre. Un bandage blanc le coiffait comme un bonnet. La fillette regardait avec la même insistance le défunt depuis le seuil de la maison. Elle remarqua également la présence d’un garçon roux parmi les gens en deuil. Lui aussi l’avait vue. Ils se dévisagèrent en silence.
    Brusquement, Aedan se leva et s’avança en direction du moine qui semblait intimider Hubert. Il dit :
    — Comme vous dites, mon père. Vous l’avez flairé de loin.
    — Plaît-il ? Mais je…
    — Maintenant que votre curiosité est satisfaite, on peut savoir qui vous êtes et ce que vous venez faire ici ?
    — Aedan ! dit Margot, scandalisée.
    — Non, laissez…, commença à dire Lionel.
    Mais il fut interrompu par Hubert, qui dit sombrement :
    — Holà ! Hé ! S’adresser comme ça à un homme d’Église…
    — Veuillez m’excuser d’arriver comme ceci à l’improviste, en un pareil moment. Je ne savais pas. Est-ce que c’est…
    — Arnaud d’Augignac. Attaqué par des routiers, compléta Aedan avec brusquerie.
    Lionel abaissa un regard alerté sur Jehanne. L’enfant, pétrifiée, n’avait pas bougé. Les lèvres pincées, elle fixait gravement le mort.
    — Entrez donc joindre vos prières aux nôtres, mon père, l’invita Margot, qui ne s’était aperçue de rien. Dieu sait s’il en a besoin, le pauvret.
    Lionel s’avança et libéra la main de Jehanne. L’enfant ne le suivit pas. Le moine dit, d’une voix tremblante :
    — Moi qui ai jusqu’à présent craint de haïr cet homme, me voici prêt à implorer son pardon.
    — Que voulez-vous dire par là ? demanda Toinot.
    — J’ai quelque chose de très important à vous dire.
    — Les enfants, allez donc faire un tour, dit Blandine. Ne vous éloignez pas trop, d’accord ? Sam, tu prendras une esconse*.
    Thierry se tenait en retrait, son visage rendu plâtreux par l’angoisse.
    Le sentier qu’avait choisi Sam était mystérieux. La lueur blafarde de la lanterne leur dévoilait çà et là d’antiques pavés qui semblaient avoir appartenu à un autre monde. Pendant les premières minutes, les deux enfants ne se dirent rien. Mais lorsqu’une vieille tour se profila, à peine visible parmi les grands arbres qui la cernaient de toutes parts, leur gêne mutuelle fut rompue.
    — Oh, un bout de château, s’exclama la fillette d’une jolie voix flûtée qui mit tout de suite le feu aux joues de Sam.
    Il expliqua :
    — C’est ma tour à moi tout seul. Enfin, les autres ne s’y intéressent pas. Attends de voir ce qu’il y a dedans. Comment tu t’appelles ?
    — Jehanne d’Augignac. Mais j’aimerais mieux être Jehan.
    — Moi, c’est Sam. D’Augignac ? Alors, ça veut dire que le mort, c’est ton père ?
    — Je le suppose.
    — Pourquoi tu ne pleures pas, alors ?
    — Parce que je ne le connais pas. Même si c’est dommage qu’il soit mort et que j’aurais bien aimé le connaître. Mon vrai père, celui que j’aime et qui me ferait pleurer s’il mourait, c’est le père Lionel.
    — Ça ne se peut pas puisque les moines n’ont pas d’enfants. Mais moi non plus je ne pleure pas quand je pense à mes parents, parce que j’étais un

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