Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
Le mariage de la licorne

Le mariage de la licorne

Titel: Le mariage de la licorne Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Marie Bourassa
Vom Netzwerk:
l’impression de se cacher pour rien. Aucun routier ne venait jamais déranger la paix de leur sous-bois. Les journées étaient longues pour les malades et les jeunes enfants, laborieuses pour les autres. Il fallait nettoyer quotidiennement les stalles des bêtes, faire à manger du mieux que l’on pouvait dans les circonstances, raccommoder du linge, être prêt à faire sa tournée de bains et de lessive lorsqu’on était appelé. Il fallait aussi soigner les malades et des blessés, qui semblaient toujours venir sans qu’une escarmouche fût en cause. La seule perspective du long hiver à passer ainsi, dans cet abri souvent cerné par les hurlements des loups, et l’inutilité apparente de la situation n’aidaient en rien le moral de la troupe.
    Jehanne s’ennuyait. Les travaux de raccommodage étaient encore plus pénibles que d’habitude à cause de la pénombre constante qui régnait dans l’abri. De plus en plus souvent, des disputes éclataient entre ses petites amies, si bien qu’elle finissait par se lasser et allait retrouver le père Lionel. Elle regrettait comme lui de ne pas avoir obtenu la permission d’emporter des livres.
    Les enfants n’étaient pas les seuls à souffrir de sautes d’humeur, si l’on s’arrêtait à remarquer les éclats de voix dont s’émaillaient fréquemment les conversations des adultes. Il y avait des disputes qui, invariablement, tournaient court dès que Baillehache montrait le bout du nez dans l’abri, ce qui était malheureusement trop rare au goût de Jehanne. De plus, Louis n’avait guère le temps de s’arrêter pour lui parler, car il devait prodiguer des soins aux malades. À tous, il remettait des paniers de verdure amère qu’ils devaient mâcher. L’hiver venant, le contenu de ces paniers devint fort indigeste. Les tendres feuillages furent graduellement remplacés par du sapinage. Les faines* devinrent de véritables friandises.
    — Tiens, v’là l’autre qui rapplique encore avec du fourrage à chevreux, dit un jour le vieux paysan qui se prénommait Mathurin. Mais c’est quand même mieux que des champignons.
    — Mangez si vous ne voulez pas que vos dents se déchaussent, intima le géant.
    Et, devant eux, il mâcha lui-même des ramilles vertes. Tout le monde se mit docilement à faire comme lui. Et force leur fut d’admettre que, grâce à ce régime, nul ne souffrit de scorbut. Malgré leur crainte, ils se plièrent même à sa volonté de les voir consommer des champignons, à condition qu’ils fussent correctement accommodés avec des épices ; car, étant issus de la terre, certains étaient si froids et humides qu’ils pouvaient causer la mort.
    Si les journées étaient longues, les soirées l’étaient encore plus. Et, compte tenu de la pénombre permanente de l’abri, il était souvent ardu de différencier le jour de la nuit. Le père Lionel consacra quelques jours à la fabrication de jeux et conserva des os dont il fit des dés. Il n’en fallut pas davantage pour égayer tout le monde. En plus des fables et récits que l’on racontait à tour de rôle, ils purent ainsi s’affronter aux tables* et s’amuser au jeu de Wibold*. Louis fabriqua de mémoire un jeu de moulin*. On se lança force défis au cours de turbulentes parties de dés, brelan* ou trimard*, parties que le père Lionel perdait systématiquement et avec une telle bonhomie que même les tout-petits tempêtaient pour y jouer avec lui. Blandine se moquait de lui :
    — Mais ce n’est pas possible d’être mauvais à ce point-là, mon père. Quelle guigne ! Connaissez-vous vraiment ce jeu ?
    — J’admets qu’il m’arrive parfois de m’embrouiller. Tous ces règlements, moi, vous savez…
    — Dites plutôt que c’est parce que vous passez votre temps à vous égarer avec vos grandes idées dès que quelqu’un a le malheur de vous fournir de quoi monter en chaire !
    — Eh, que voulez-vous ? On ne peut être à la fois bon orateur et gagnant au trimard*.
    Les habitants de l’abri n’avaient aucune idée de ce qui se passait au-delà de leurs murs épais. Et c’était aussi bien ainsi.
    Le gerfaut chanta par trois fois. Entre le premier et le second appel, il fit silence. C’était le signal.
    Depuis sa cachette, Louis fut à même de constater que Sam n’avait pas oublié le code convenu. La pause dans le chant du gerfaut signalait la venue dans leur direction d’un groupe considérable. Les fugitifs n’allaient pas être en

Weitere Kostenlose Bücher