Le mariage de la licorne
courte durée, car la mer dorée par le levant les galvanisait. Elle les appelait, leur faisait signe de s’en aller au large, vers cette inquiétante infinité des vagues bordées, au loin, d’un gigantesque nuage cuivré. Le Mont-Saint-Michel (86) , bien campé sur son haut piton rocheux, les salua de ses nombreux clochers comme pour les bénir.
« La tempête les frappa alors qu’ils étaient en plein milieu de leur périple. Il n’y avait plus de terre en vue depuis longtemps, ni d’un côté ni de l’autre. Il ne restait que des vagues à perte de vue. Mais bientôt, cela aussi disparut. Eux qui avaient craint son immensité regrettaient désormais sa rassurante présence. Il n’y avait plus rien à quoi se raccrocher, aucun repère vers lequel tendre leur volonté défaillante, sinon la silhouette fugace de leur compagnon qu’il ne fallait pas perdre. Il fallait voler et voler encore dans un monde qui n’était plus que chaos hurlant. Peu importait que les rafales les fissent dévier de leur trajectoire, maintenant. Les vagues ignoraient, elles aussi, où aller. Il n’y avait peut-être plus rien. Ce qui importait avant tout, c’était de vivre. Et vivre, c’était continuer à voler et rester ensemble.
« Cela dura des heures et des heures, du moins à ce qu’il leur parut. Ils étaient exténués. Leurs ailes leur faisaient mal et se contentaient de les soutenir en l’air plutôt que de lutter contre la tempête. Cela ne servait plus à rien de chercher à combattre ce vent fou.
« La nuit tombait. Ils ne le surent que parce que les rafales s’obscurcissaient graduellement. Mais la tempête, elle, ne donnait aucun signe de faiblesse. Alors que le découragement gagnait les deux voyageurs, ils entrevirent dans la pénombre mouvante une silhouette massive qui ne bougeait pas. Parfois elle disparaissait, pour mieux réapparaître, inchangée. Les oiseaux se remirent bravement à lutter contre le vent afin d’aller vers cet objet. C’était un gros écueil au cœur de la tourmente. Ils étaient sauvés.
« Ils se posèrent dessus et se collèrent l’un contre l’autre, tandis qu’autour d’eux la tempête faisait toujours rage. Mais elle ne les dérangeait plus, maintenant. La nuit passa.
« Une mer étale les accueillit le matin suivant. C’était comme s’il n’y avait jamais eu de tempête. À sa place flottait une brume opaque. Ils ne voyaient rien, mais ils s’envolèrent quand même. Ils étaient reposés et il n’y avait rien d’autre à faire. Peu à peu, le soleil illumina le brouillard et leur confirma qu’ils allaient toujours dans la bonne direction.
« Lorsque le brouillard commença enfin à se dissiper, ils virent… les Hautes-Terres*. Là où il n’y avait eu auparavant que l’infinité de la mer et un rêve lointain, ils voyaient maintenant des montagnes couvertes de velours émeraude incrustées à leurs pieds du miroir d’un loch. C’était merveilleux, au-delà de leur rêve le plus insensé. Ce lieu était comme un paradis. Le voyage des deux oiseaux arrivait enfin à son terme. Ils se posèrent au faîte d’une colline. Là seulement, parmi les herbes folles qui dansaient autour d’eux, le philtre cessa d’agir et ils reprirent forme humaine. Ils étaient arrivés chez eux. Ils échangèrent un baiser. Très ému, le garçon dit : "L’âme et le vent sont frères. Tous deux sont libres. Et ton âme à toi connaît quelque chose que le vent ignore : ton âme sait comment aimer." »
Sam tenait les deux mains de Jehanne dans les siennes. Ils étaient assis l’un en face de l’autre, entourés par les habitants de l’abri qui avaient écouté le conte dans un silence recueilli.
— Et je laissai mon âme appeler, dit Sam.
— Oh, Sam, c’est très beau, dit la fillette.
— C’est pour toi.
Sam sourit. Ses longues heures de guet n’avaient pas servi à rien.
Une ombre se déplaça légèrement le long de l’une des parois, derrière les autres qui eux aussi étaient assis. C’était Louis. Lui était resté debout et avait croisé les bras. Il ne quittait pas les deux enfants des yeux. Sam, surtout.
Quelqu’un toussa et les mains des deux enfants se séparèrent. Louis ne broncha pas. Lionel remarqua :
— Bravo. Je me régale de ce genre d’histoires. Les faits réels sont souvent trop inflexibles à mon goût. Manifestement, ce garçon a hérité des talents oratoires de son grand-père. Il ferait un excellent
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