Le mariage de la licorne
surveillance, Louis leur permettait de se restaurer brièvement et les mettait à l’entraînement jusqu’à la tombée de la nuit. Avec eux, le travail se cantonnait au tir à l’arc. Mais les hommes durent bientôt faire face à une tout autre musique : se familiariser avec le corps à corps et, éventuellement, le combat armes en main qui, avec Louis comme professeur, n’était pas une expérience très agréable à vivre. D’abord, il leur faisait peur. Il leur donnait l’impression qu’il était véritablement sur le point de les abattre. Cela suffisait souvent à mettre l’un de ces malheureux en déroute. Si l’élève ne comprenait pas une manœuvre à la seconde tentative, Louis ne l’épargnait plus. Il en envoya ainsi plusieurs à l’infirmerie de l’abri sans éprouver le moindre remords. Le père Lionel n’approuvait pas ces méthodes trop brutales, mais il lui fallait bien convenir que le temps pressait et que seuls les plus forts et les plus rapides allaient pouvoir s’en tirer.
Sam était exalté par cette existence fruste, malgré l’ennui de ses huit longues heures de guet quotidien. Mais le fait que pouvait survenir un danger et ce, n’importe quand, était en soi très excitant. Le moment qu’il préférait entre tous était celui de l’entraînement. Après à peine deux mois d’exercices, il avait surpris tout le monde en excellant déjà avec l’épieu, l’archegaie* et la vergette*, si bien que Louis avait décidé de l’initier au combat, avec les adultes. Sam y mettait une sorte de rage. Son acharnement à frapper, à blesser eût inquiété n’importe quel autre professeur que Louis. Mais le métayer ne s’en souciait pas outre mesure. Nul n’eût pu soupçonner qu’il avait très bien compris l’objet de la haine de Sam. Il l’avait cerné et redirigé à bon escient sans que le garçon n’eût pu rien y changer. Le plus étrange dans tout cela, c’était que Sam n’avait rien trouvé à redire. Il commença même à en tirer quelques bénéfices, attribués à titre personnel par son tuteur. Louis lui fabriqua une guisarme* avec une serpe de bûcheron emmanchée sur une hampe et lui en enseigna l’usage. Il se mit à l’emmener avec lui à la chasse ou à la pêche. Il lui montra les plantes et les champignons qu’il cueillait et ils dépecèrent ensemble les petits animaux qu’ils rapportaient : chevreaux, lapins, videcoqs*, de même qu’une variété d’alouettes : gamalcones, calandres et calandrettes, cochevis, lulu, otocoris, sidi. Louis ne parlait jamais beaucoup. Sam fut étonné de découvrir combien on pouvait beaucoup apprendre en compagnie de quelqu’un que l’on se contentait de regarder travailler.
Un jour d’automne, Sam débusqua un chevreuil. Il se détourna en vitesse. Son carquois était resté près de l’arbre au pied duquel il l’avait déposé pour ramasser des noix plus à l’aise. Rouge de honte sous le regard désapprobateur de Louis, il eut sa leçon. Aucune parole ne fut échangée. Mais, à partir de ce jour-là, Sam ne délaissa plus jamais son carquois lorsqu’il se rendait en forêt.
De son côté, Louis disparut parmi les buissons. Trente secondes après, le chevreuil s’écroulait, une flèche à travers la gorge.
— Ouais ! s’exclama l’Écossais en rejoignant Louis qui s’affairait déjà à vider la bête.
Le gamin vint lui prêter main-forte et demanda :
— Mais comment va-t-on faire pour en manger, sans feu pour le faire cuire ?
Pour toute réponse, Louis découpa un grand morceau de chair qu’il déposa, toute palpitante encore, entre deux pierres plates. Après quoi il monta dessus. Sam put constater par lui-même que la forte pression exercée par le poids de l’homme exprimait le sang de la viande. Louis expliqua :
— Toi, tu n’es pas assez lourd. Il te faudrait des cordes ou des courroies pour manœuvrer un gros roc.
Il redescendit et souleva la pierre plate. Il ouvrit sa besace et en sortit deux sachets. Dans chacun, il prit une pincée d’ingrédients dont il saupoudra la viande. C’était du sel et du poivre blanc. Il mordit dedans et en offrit un morceau à Sam, qui s’empressa d’y goûter.
— Est-ce cela que les chasseurs appellent du chevreuil de presse ? demanda Sam.
— Oui.
— C’est rudement bon.
Le garçon souriait en mâchant.
L’émerveillement des débuts s’amenuisait. L’hiver approchait et, par moments, les habitants de l’abri avaient
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