Le mariage de la licorne
de parasites, Allemands et Hollandais qui se disaient leurs alliés, mais qui tenaient surtout à recevoir leur part de butin une fois l’objectif final d’Édouard atteint. Mais Reims, la ville du sacre, était encore loin, et la couronne de France aussi. Le roi de la Grande Île le dut se résoudre à prêter de l’argent à fonds perdus aux « alliés » pour les convaincre de repartir chez eux. De pillage en pillage, les Anglais se rendirent jusqu’aux faubourgs de Paris. Édouard n’osa cependant pas pousser plus loin son attaque.
Non, le vieux renard savait se montrer sagace lorsque le besoin s’en faisait sentir, et un long siège de Paris était alors inapproprié pour ses gens épuisés et trop âpres au gain. Édouard savait jouer de finesse lorsque cela s’avérait nécessaire : cette année-là, il décida que la langue anglaise allait devenir la seule langue de son peuple saxon. Il proscrit l’usage du français dénaturé qui était parlé à la Cour depuis l’époque des anciens conquérants normands ; il voulait alimenter jusque dans le moindre détail la haine des Normands du continent, supposés alliés de la France, dont ses armées détruisaient le patrimoine.
Cette entreprise de minage ne datait pas de la veille. De plus, elle se fondait sur un mensonge : Édouard s’était montré prêt à tout pour inoculer un désir de guerre chez ses sujets pacifiques. Il avait fait circuler et lire par les prêtres aux prônes des églises un document traduit, probablement faux, selon lequel les Normands avaient déjà offert au roi de France de conquérir à leurs frais l’Angleterre, à condition qu’elle fût partagée entre eux, comme elle l’avait été du temps de Guillaume le Conquérant. Cela avait fait miroiter des gloires passées pour la France. En outre, Édouard avait chargé des moines d’appuyer ces dires ; il s’agissait des dominicains, dont la vocation était de prêcher avec le précieux secours de la sacra pagina*, à laquelle on pouvait faire dire n’importe quoi. L’appât du gain avait fait le reste.
Désormais, d’innombrables familles du royaume de France devaient s’entasser à plusieurs dans leur abri de fortune, s’ils avaient la chance d’en posséder un, à l’approche de l’ennemi. Femmes, enfants, vieillards et infirmes y croupissaient des semaines, voire des mois, comme dans une immense geôle semblable à un tombeau. Pendant ce temps, les hommes grimpaient craintivement au beffroi ou au clocher afin de surveiller la campagne environnante.
Il ne fallait compter sur l’aide de personne, et Louis le savait. De longs mois avaient passé et personne n’était venu de Navarre ou de Caen pour lui prêter main-forte. Les paysans, ruinés par leurs seigneurs, n’étaient jamais quittes. Les sujets de France, tout comme ceux de Navarre, étaient accablés d’impôts. Ces taxes ruineuses compromettaient l’avenir même des deux royaumes en touchant leurs hommes et leurs enfants qui avaient été épargnés par les épidémies et la guerre, pour la seule raison qu’ils étaient aptes à travailler.
Cette guerre des Anglais était menée sur deux fronts, comme un commerce habile mais malhonnête : pendant que les grands de ce monde se payaient sans inquiétude en puisant à même les réserves dans l’impunité de l’arrière-boutique, les gagne-petit à leur emploi s’adonnaient à un pillage minutieux et discret des étalages. Robert Knolles se cantonnait en Normandie. Louis tenait de source sûre que le propre frère du roi de Navarre, Philippe, faisait sa part de pillage. Charles, quant à lui, avait déjà oublié celui dont il avait failli faire son conseiller. Cela n’avait certes rien d’étonnant, mais les événements qui l’avaient contraint à quitter la Cour n’en étaient pas l’unique cause.
En cette même année 1361, Philippe de Rouvres, duc de Bourgogne, mourut sans héritier mâle. Or, Charles de Navarre était le petit-fils de la fille aînée du duc Robert II, Marguerite de Bourgogne. Il était donc légitime que le petit roi réclamât le duché. Cependant, le roi Jean fit de même depuis sa prison dorée d’Angleterre, car il descendait de la seconde épouse du duc. L’otage royal eut finalement gain de cause, puisque le Mauvais n’était désormais pas mieux perçu en Bourgogne qu’en France. Charles quitta donc Mantes pour retourner en Navarre et, de là, l’année suivante, il allait s’embarquer pour
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