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Le mariage de la licorne

Le mariage de la licorne

Titel: Le mariage de la licorne Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Marie Bourassa
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ménétrier*.
    — Même si c’est un peu passé de mode, déclara Thierry.
    — Les bonnes histoires ne passent jamais de mode, renchérit Lionel. Notre lyrisme inquiet parle trop de repli sur lui-même d’un monde révolu. Le conte de Sam nous ramène à l’une des vraies valeurs de la vie : l’amour.
    — Qu’y a-t-il à comprendre là-dedans ? demanda Louis.
    — Tout ! C’est le propre de la poésie, mon fils. Tenez, par exemple : c’est un peu comme si je vous parlais, je ne sais pas, moi, d’une rose d’un rouge ardent. Saisissez-vous l’image par ce mot, ardent ?
    — Je peux imaginer une rose rouge. Mais les roses ne brûlent pas.
    — Non. Vous, vous êtes du genre à appeler un chat un chat.
    — Autrement dit, il n’a aucune imagination, dit Sam.
    — Je décris les choses telles qu’elles sont, répliqua Louis.
    Peut-être dans le but d’alléger l’atmosphère, Hubert regarda Louis et demanda :
    — Ça, c’est vrai. À propos d’histoires, connaissez-vous celle du Grand Ferré ?
    — Non.
    — À ce qu’on dit, il était aussi grand et fort que vous.
    — Mais il avait meilleur caractère, corrigea Sam.
    Les auteurs de quelques rires contenus jetèrent un coup d’œil gêné à Louis. Hubert reprit :
    — C’est vrai. Parce que c’était un doux. Je ne suis pas un bon conteur comme Sam, mais vous allez voir, mon père, que les histoires vraies peuvent aussi être édifiantes.
    — Je n’en ai jamais douté, mon fils.
    — Bien. Cela date probablement de la mi-année 1358. Il y avait à Creil un jeune et brave capitaine du nom de Guillaume l’Alloue. On l’appelait aussi Guillaume aux Alouettes. C’était le plus beau parti dont une fille pouvait rêver dans le coin. Ceux de Creil lui faisaient confiance. Ils allaient toujours le voir quand ils craignaient que les Anglais n’arrivent pour les prendre. Ce capitaine obtint du dauphin et de l’abbé la permission d’occuper la ville et de se mettre en défense avec deux cents gens d’armes et des vivres. Mais ce ne fut pas tout ce que ramena le jeune Guillaume. Il avait à son service ce Grand Ferré, un homme humble mais doué d’une force surhumaine. L’Alloue, on se demandait bien pourquoi, croyait plus prudent de le tenir en laisse pour ne le lâcher qu’en cas de nécessité.
    « Or voilà que les Anglais qui campaient en bordure de la ville remarquèrent les vivres qui y entraient en abondance. Holà ! qu’ils eurent faim tout à coup. Ils décidèrent d’essayer de forcer la place. Surprise : cela fut très facile. Les Anglais envahirent les rues et commencèrent à piller la ville comme ils savent si bien le faire. Les bourgeois combattirent avec une grande vaillance. Mais c’était peine perdue : il en venait de partout, de ces damnés Goddons*, comme des locustes sur la terre d’Égypte.
    « Soudain, au milieu de toute cette pagaille, Guillaume l’Alloue fut mortellement blessé. Le Grand Ferré le vit tomber et gémit de douleur. Il se redressa et se porta entre les deux groupes. Il dominait tout le monde des épaules, tout comme vous, maître, et il brandit une hache si lourde, je vous jure, qu’un homme ordinaire peut à peine la soulever. Des Anglais se firent faucher comme du blé mûr. D’autres se noyèrent en essayant de fuir à la nage. En tout cas, le Grand Ferré fit place nette en l’espace de quelques minutes. »
    Hubert fit une pause pour boire un peu de cidre, ce qui permit à un silence dramatique des plus opportuns de s’insérer dans son récit. La lueur palpitante des chandelles éclairait des visages tendus, fascinés, tandis qu’il reprenait, d’une voix douce et triste :
    — De retour chez lui, notre Grand Ferré, qui était paysan, réclama de l’eau froide qu’il but goulûment. Peu après, il ne se sentit pas très bien. Des amis qui vinrent lui rendre visite s’aperçurent qu’il était fiévreux. Il avait pris chaud à la besogne et d’avoir bu froid ne lui avait pas réussi. Il se coucha. Plus jamais il ne se releva. Après avoir tenu tête aux Anglais à lui tout seul, après avoir sauvé Creil, il abandonna faiblement sa vie… à un gobelet d’eau froide.
    Silence. L’émotion était à son paroxysme. Hubert regarda autour de lui. Une mère caressait pensivement le front de sa fillette appuyée contre elle. Sam fronçait les sourcils et se mordait la lèvre. De jeunes hommes s’échangeaient des regards gênés. Toinot, bourru, fut le

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