Le mariage de la licorne
mesure d’y faire face sans aide. C’était le moment ou jamais d’avoir recours aux petites surprises que recelait la forêt.
Les routiers échangeaient des commentaires désobligeants, sans doute à propos des feux de branchages entre lesquels ils déambulaient avec nonchalance. Les fuyards ne s’étaient même pas donné la peine de les couvrir, et de minces tranches de venaison fumaient encore, soigneusement alignées sur leurs filets humides aux mailles noircies. Tandis que plusieurs hommes suggéraient de suivre avec leurs meutes de veautres* les traces maladroites, trop évidentes, des fugitifs, l’un d’entre eux ricana et s’empara d’un morceau de viande qu’il porta à sa bouche. Les autres ne s’en occupèrent pas et commencèrent à se disperser parmi les ronciers où s’égaillaient les traces.
Personne n’entendit le sifflement ni ne vit la tranche de venaison volée qui tombait, intacte. Cependant, quelques-uns virent l’homme s’écrouler dans le tas de branchages fumants qui se trouvait devant lui. Une flèche frémissait entre ses omoplates. Le temps qu’ils se missent tous à crier, deux autres hommes avaient disparu. Un quatrième routier hurlait, terrifié, en se balançant la tête en bas à trois pieds du sol. Il était pendu par les chevilles par un nœud coulant qui avait été soigneusement dissimulé au pied d’un arbre. Au-dessus de lui, une grosse branche s’amusait à faire sautiller sa proie comme une marionnette à un fil. Un grand homme en noir sortit des buissons et le mit en joue avec son arc. Un claquement, et la marionnette ne se débattit plus. Ils comprirent trop tard que cet archer n’était pas seul et qu’il les avait attirés dans un guet-apens avec ses feux de fumée et ses traces. D’un geste, Louis donna le signal de la curée.
Les flèches se mirent à pleuvoir de toutes les directions en même temps. Les bandits se nuisaient dans la confusion d’une retraite précipitée, déjà vaine puisqu’ils étaient encerclés. Lorsque le reste des archers se fit enfin visible et remplaça les arcs par des lames de tous calibres, la moitié des bandits étaient déjà morts.
Dix minutes plus tard, les habitants d’Aspremont brandissaient leurs fourches, leurs godendags* et leurs serpes en criant victoire.
Du haut de l’arbre qui lui servait de tour de guet, Sam ne pouvait distinguer que le bref scintillement des armes entre les nombreux troncs. Mais il entendit nettement les acclamations et, galvanisé, il se mit à crier avec eux.
*
Début de l’hiver 1361
« Ils étaient seuls tous les deux dans la forêt. Le garçon et la fille. L’aube ne s’était pas encore levée et personne n’était en vue. Un brouillard paisible flottait parmi les troncs à peine visibles.
« Le garçon prit dans sa poche un petit flacon lumineux qu’il remit à la fille. Elle en but la moitié et lui but l’autre. Pendant quelques secondes, il y eut une grande lumière, puis plus rien.
« Le garçon et la fille avaient disparu. Et là, à leur place à travers les buissons, il y avait deux beaux oiseaux qui ressemblaient à des tourterelles. L’un était tout d’or, l’autre d’un blanc argenté.
« Ils avancèrent en hésitant sur leurs pattes fines. La terre ferme les mettait soudain mal à l’aise, car les oiseaux sont faits pour voler, pour partir au loin. Ils étendirent donc leurs ailes et prirent leur envol. Tout de suite, ils se sentirent mieux. Ils étaient si heureux que les arbres s’écartèrent pour leur livrer passage. Bientôt, les cimes avec leur écharpe de brume descendirent sous eux et le sol disparut. À l’horizon, ils virent le soleil qui se levait.
« Les deux oiseaux survolèrent le village et la maison où ils avaient grandi. D’un commun accord, ils firent cercle autour de ce lieu aimé en guise d’hommage. Cet endroit leur parut soudain bien petit. Ils furent attristés par un tel adieu. Pendant un instant, ils furent même tentés de changer d’idée et de rester. Mais le temps pressait. Il fallait se décider une fois pour toutes et partir, vite. Sans plus regarder en arrière.
« Sous eux, de pauvres chemins défoncés, louvoyant sans raison apparente, se frayaient péniblement un passage à travers la campagne encore somnolente. Mais eux volaient en ligne droite, libres de toute contrainte. De cette façon, ils atteignirent la côte si rapidement qu’ils en furent surpris.
Leur tristesse revint, mais elle fut de
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