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Le mariage de la licorne

Le mariage de la licorne

Titel: Le mariage de la licorne Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Marie Bourassa
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sécurité, vu votre allégeance. Plus il y aura de gens pour vous y voir, mieux cela vaudra. On s’entend là-dessus ?
    — J’avais compris.
    — Vraiment ? Eh bien, c’est digne d’admiration, venant de quelqu’un qui n’est pas instruit. Bon, allez, Baillehache. Pas d’ouvrage pour vous aujourd’hui. Mais rappelez-vous, hein : soyez sur vos gardes. On ne sait jamais.
    — Bien, je m’en souviendrai.
    Louis salua le bayle d’un signe de tête et sortit.
    De retour chez lui avec une charrette pleine de fumier qu’il avait ramassé dans les rues et ramené afin d’essayer d’en améliorer le rendement (90) , il s’occupa de son jardinet. À la ferme, il avait davantage recours à l’engrais naturel que constituaient les débris végétaux en décomposition qu’il allait quérir en forêt pour fertiliser la terre. Mais, l’humus étant introuvable en ville, il avait plutôt recherché cette autre ressource quasi inépuisable et gratuite.
    Quelques voisins qui le regardaient travailler un petit coin consacré aux aunées* émettaient des commentaires suffisamment fort pour se faire entendre de lui :
    — Y a pas à dire, ses fleurs ont belle mine. Trop même, si vous voulez mon avis, pour des fleurs de bourrel*.
    — J’ai ouï dire que c’est parce qu’il mélange du sang humain à son fumier.
    Louis lâcha sa bêche et s’avança vers sa grille où les indiscrets se tenaient, goguenards, les mains dans leurs poches. Il leur dit :
    — Au fait, je suis un peu à court et j’aurais besoin de volontaires pour m’en fournir un peu. Il n’y a pas de meilleur engrais.
    L’impasse se vida en moins de deux et il put travailler tranquille jusqu’à la fin de l’après-midi.
    *
    Aspremont, début mai 1364
    Jehanne n’allait pas bien depuis le mois de mars. Elle avait perdu l’appétit et plus rien ne l’amusait. En mai, son teint était devenu blême et son regard, fuyant. Fréquemment, Lionel l’avait vue quitter la maison bien avant l’aube avec un ballot sous le bras. À son retour, elle faisait un détour furtif par l’aile des domestiques pour y laisser son ballot avant de retourner se coucher, alors que le reste de la maisonnée s’éveillait peu à peu. Elle ne voulut souffler mot à personne de ce qui la préoccupait. Les mystérieux ballots demeuraient introuvables dans la cuisine. Sam lui-même n’arriva pas à savoir ce qui pouvait bien se passer. Tout cela avait commencé un matin encore frisquet lorsqu’elle s’était rendue au ruisseau pour se baigner. Elle en était revenue maussade et, depuis, l’anxiété pouvait se lire sur son visage dès que l’on tentait de s’adresser à elle. Cette espèce de langueur était d’autant plus inexplicable et malvenue que le mois de mai semait partout dans les sous-bois les clochettes en faïence délicate de ses muguets. Il faisait si bon s’étendre sans raison sur l’herbe jeunette qui s’ébouriffait sous la brise ensoleillée pour regarder filer les nuages. Être malade en mai, c’était souffrir doublement.
    Louis non plus ne parvint pas à savoir ce qu’elle avait. Il lui faisait ingurgiter des toniques et allait cueillir en forêt toutes les jeunes verdures comestibles qu’il pouvait trouver. Il en faisait des salades généreusement assaisonnées d’ail. Il s’arrangea pour ramener de la ville un morceau de bœuf, acheté à prix d’or, qui fut exclusivement réservé à Jehanne. Et même, chose très rare, il se permit d’insister :
    — Si au moins vous me disiez ce qui ne va pas, je pourrais peut-être faire mieux.
    — C’est très gentil à vous, maître, mais c’est inutile. Je vais aller mieux, maintenant. Mon malaise est parti.
    — Bien. Alors dites-moi ce que c’était.
    — Rien, puisque ça n’y est plus.
    Et elle lui offrit un triste sourire. Ils en restèrent là. La jeune fille ne tenait pas à lui avouer que son mystérieux mal ne cessait que pour mieux récidiver plus tard.
    — Je crois qu’il s’agit plutôt d’un mal de l’âme, dit le père Lionel, qui résolut, trois jours avant le départ des fiancés pour Reims, de ne pas laisser Jehanne quitter son confessionnal sans en avoir le cœur net.
    Ceux qui étaient destinés à faire le voyage avaient été rappelés à leurs devoirs de bons chrétiens. Le mince visage blanc de Jehanne faisait pitié à voir derrière la grille. Après l’aveu de quelques péchés véniels, il demeurait penché et contrit, aucunement

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