Le mariage de la licorne
était inusité. Cela n’augurait rien de bon. Jehanne commença à s’inquiéter pour Margot. Elle répondit :
— Je ne comprends pas.
— Ne t’a-t-elle pas expliqué comment une jeune fille devient femme ?
Jehanne parut immédiatement soulagée. Elle dit :
— Oh oui.
Et elle se mit à réciter d’une voix plate, comme une leçon apprise par cœur :
— À toute jeune fille, l’on se doit d’inculquer la pudeur, la mansuétude, la constance, la modestie, cela dans le but de plaire au mari, à qui la femme, selon la volonté de la sainte Église, doit se soumettre.
— Rien d’autre ?
La jeune fille demeura perplexe. De son point de vue, c’était amplement suffisant. Elle se demanda ce qu’il pouvait bien y avoir de plus comme restrictions dans l’existence déjà étriquée d’une bonne épouse et mère de famille. Elle répondit :
— Il me semble bien que non.
— Miséricorde. Attends donc un peu que je mette la main dessus, cette grosse oie de Margot ! gronda le père Lionel.
Et, l’air soudain contrit devant Jehanne qui le fixait de ses yeux exorbités, il se signa avec empressement.
— Que le Seigneur me pardonne de m’être ainsi emporté. Et toi aussi, Jehanne, je te demande pardon. Pour cela et pour avoir tant tardé à comprendre. J’aurais pourtant dû me douter de ce qui t’arrivait. Tu as l’âge.
— Bien sûr que je vous pardonne, mon père.
— Merci. C’est sans doute la première fois que l’on entend une chose comme ça dans un confessionnal, tu ne crois pas ?
Il rit doucement et elle avec lui. « Bonne petite, ni Ève ni Marie », songea-t-il. Même plongée dans sa terrible anxiété, Jehanne, qui se croyait mourante, n’en demeurait pas moins disposée à pardonner la moindre faute, y compris celles dont elle ne saisissait pas tout à fait la teneur. L’enfer qu’avait dû être sa vie depuis trois mois !
Lionel croisa les mains sur son giron. Il était embarrassé de s’aventurer comme un gros intrus maladroit dans cet univers sacré et mystérieux, d’assumer pour ce court moment le rôle d’une mère. Néanmoins, il dit posément :
— Tu n’es pas en train de mourir, Jehanne, au contraire. Tu n’es pas même malade.
— Non ?
— Non. Ces saignements se nomment menstrues et sont tout à fait naturels. Ils surviendront toutes les lunes pendant les trente ou quarante prochaines années de ta vie.
— Oh…
— Tu en auras jusqu’à ce que tu sois trop âgée pour enfanter. Cependant, si les menstrues venaient à cesser, cela signifierait qu’un bébé serait en train de se former dans ton ventre. Dans Son infinie sagesse, Dieu a procédé ainsi afin que la femme soit en mesure de savoir avant tous les autres qu’elle sera mère. C’est l’un de ses privilèges.
Il omit volontairement de mentionner le péché originel. Vu les circonstances dans lesquelles Jehanne avait appris cette dure réalité de la vie, il jugeait superflu d’appesantir son fardeau.
Le fait d’apprendre qu’il n’y avait pas de châtiment et qu’elle n’était pas mourante soulageait Jehanne d’une telle angoisse que la perspective d’avoir à porter des linges et à souffrir de maux de ventre tous les mois ne l’effrayait pas autant qu’elle l’eût fait en d’autres circonstances.
Sans regarder l’adolescente, le moine poursuivit ses explications :
— Les menstrues signifient que tu deviens femme. Dieu t’accorde là un don précieux, ma petite Jehanne, car ton corps est dès à présent en mesure de donner la vie.
— C’est vrai ?
— Tout à fait. Avec l’intervention d’un homme, cela va de soi. Mais prends garde, ma fille : c’est un don, mais cela peut aussi devenir source de grands malheurs si tu ne prends pas de précautions. Rappelle-toi que ton corps, tout comme ton âme, se prépare à servir celui qui deviendra ton mari. Lui et lui seul. Par conséquent, aucun autre homme n’a le droit de te prendre, Jehanne. Et c’est à toi qu’échoit la responsabilité de l’en empêcher. Me fais-je bien comprendre ?
— Oui, mon père.
La jeune fille sourit. Elle avait tout compris. Dieu n’était pas fâché et, après tout, Sam n’était pas un homme ; c’était son meilleur ami. Et il n’avait pas mis d’enfant dans son ventre avec son baiser.
*
Reims, 19 mai 1364
La nouvelle avait mis presque trois jours pour parvenir aux oreilles du futur roi. À partir de là, elle se répandit parmi
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