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Le mariage de la licorne

Le mariage de la licorne

Titel: Le mariage de la licorne Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Marie Bourassa
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silencieux, la bouche et le nez dissimulés derrière leur écharpe de laine. Louis regarda Sam et dit :
    — Je vais faire sauter les crêpes. Toi, tu iras t’asseoir pour en manger avec les autres. Je ne veux pas t’avoir dans les jambes pendant que je cuisine.
    — Ça, c’est le genre d’ordres que j’aime entendre, dit Sam avec un grand sourire.
    Sa réplique fut accueillie par quelques rires brefs qui produisirent de petits nuages blancs autour du groupe.
    — Oh, bonne mère, quelle rafale ! s’exclama Margot. S’est-elle éteinte, maître ?
    — Non.
    — Parce que, si elle s’éteint, c’est un message de mort pour celui qui la porte.
    — Balivernes. Ce n’est qu’une chandelle. Mais j’y fais attention, puisque ça vous rassure.
    Jehanne s’approcha de Louis et lui dit :
    — Elle ne s’éteindra pas. Vous songerez à mettre un sou dans la première crêpe et à la laisser sur l’armoire, n’est-ce pas ?
    — M’avez-vous déjà vu oublier de le faire ?
    Pour ne pas demeurer en reste, Sam se rapprocha d’eux dans une attitude fort dévote. Jehanne convint :
    — Non, c’est vrai. Même lorsque nous étions dans l’abri, vous l’avez fait. Et vous aviez dit vrai : la crêpe n’a jamais moisi de toute l’année. Elle a juste séché. C’était vraiment une crêpe spéciale, alors. Grâce à vous, le Bon Dieu nous a donné une bonne récolte sans moisissure. À qui donnerons-nous le sou de l’an passé ?
    — Au premier pauvre que nous verrons, répondit Blandine. Ainsi, nous serons protégés.
    — Mais nous sommes protégés.
    Jehanne sourit à Louis, qui marchait toujours à reculons, dos au vent. Elle avait en lui une totale confiance qui le mit mal à l’aise, car elle frôlait la vénération.
    Un souffle direct effleura sa moufle et il baissa les yeux. La chandelle venait de s’éteindre. Margot, haletante, se signa. Louis s’immobilisa et regarda Sam qui recula hâtivement.
    — C’est pas moi, c’est le vent, dit-il.
    Une expression craintive succédait à son vague sourire.
    Louis ne dit rien. Il abaissa la chandelle, leur tourna le dos et se remit en marche d’un pas rapide, les épaules légèrement voûtées pour se protéger du vent, une main sur son chaperon. Des volutes de neige dansaient à ses pieds. Les pans de son aumusse* battaient comme des ailes de corbeau. Les autres marquèrent un temps avant d’oser à nouveau le suivre.
    — C’était une très mauvaise plaisanterie, ça, l’Escot*, dit Hubert.
    Jamais printemps ne fut plus long à venir. Mais il vint et, avec lui, le changement.
    *
    Hiscoutine, printemps 1364
    La bande de copines qui lâchaient rarement Jehanne d’une semelle portait sur les nerfs de Sam plus que d’habitude depuis le début de la belle saison. Ces filles étaient devenues insupportables. Du jour au lendemain, leur comportement s’était radicalement modifié. Elles avaient cessé de grimper aux arbres et de jouer aux damoiselles en détresse pour passer de longues heures dans la tour, assises dans le foin à bavarder. Et, comme de raison, il n’avait pas accès à leurs conversations qui avaient toute l’apparence de graves complots. On avait frappé Sam d’interdit. Dès qu’il essayait de franchir le seuil de la tour, de sa tour, il en était invariablement éconduit avec force cris d’indignation. Ses rares temps libres étaient devenus très ennuyeux. Certes, il haïssait ces pimbêches du village, avec leurs regards en coin et leurs ricanements furtifs. Mais le pire, dans tout cela, ce n’était pas tant elles que le fait qu’elles l’avaient éloigné, lui, de Jehanne.
    En peu de temps, à ce qu’il semblait, Jehanne avait beaucoup changé. Ce changement s’était amorcé vers la fin du séjour dans l’abri souterrain, une épreuve qui avait laissé sa marque et affecté tout le monde de manière différente. Chez la plupart, cela avait mis un certain temps avant de devenir apparent, la survie ayant primé sur tout le reste. Mais, à présent que le calme était revenu, il se produisait des choses nouvelles, inattendues. C’était comme si la vie n’allait plus jamais pouvoir être comme avant. Chez Jehanne, le changement s’était amorcé graduellement, en douceur, si bien que très peu de gens avaient semblé le remarquer. Sam avait été le premier. Puis ça avait été au tour de Louis.
    Un jour qu’il sarclait le potager, le métayer s’était subitement rendu compte qu’elle

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