Le mariage de la licorne
la populace à la vitesse de l’éclair : les gens de France venaient enfin de remporter une victoire contre l’ennemi à Cocherel. Ils la devaient au valeureux Breton de Dinan, Bertrand Du Guesclin. Le captal de Buch (91) , celui qui avait succédé au frère du Mauvais, Philippe, au commandement des Navarrais, avait dû s’incliner devant ce roturier de Bretagne dont l’apparence physique, disait-on, était des plus désagréables. Du Guesclin, issu de la glèbe, devint du jour au lendemain le héros de cette même glèbe. La bataille de Cocherel ne mit pas longtemps à prendre une importance démesurée aux yeux de ceux qui étaient devenus un peuple de vaincus. Le vaillant Du Guesclin allait en être largement récompensé plus tard en se faisant nommer maréchal de Normandie, de même que par l’octroi du comté de Longueville, un présent digne d’un prince, puisque cet établissement avait d’abord été destiné à être remis en héritage au frère du Mauvais après le décès de Philippe de Longueville.
De son côté, Charles de Navarre, qui avait regagné son royaume en 1361, ne le quittait plus. Il n’en bougea pas plus lorsqu’il eut vent de ces nouvelles. Il n’agissait plus en Normandie que par personnes interposées. Ainsi Louis apprit-il que, dès avril, un routier, Eustache d’Auberchicourt, allait faire office de garde des terres du roi de Navarre en France, Normandie et Bourgogne. Ce fut à partir de cette époque seulement que le Mauvais se mit à traiter avec les grandes compagnies pour assurer, en France, la défense de son patrimoine.
Nombreux furent ceux qui virent en Cocherel un événement de bon augure en ce début de règne du nouveau roi de France, le futur Charles V de Valois. De plus, cette victoire scellait pour de bon le destin de la branche capétienne des comtes d’Évreux dans sa lutte pour l’hégémonie contre la branche des Valois. Ces derniers ne furent plus traités d’usurpateurs, qualificatif dont on les affublait depuis le couronnement du premier Valois, Philippe VI, trente-six ans plus tôt. Pourtant, d’autres virent en Cocherel une victoire fortuite qui monterait à la tête des gens de France comme vin de Champagne. Car les embûches risquaient d’être nombreuses sur le chemin que le jeune dauphin Charles se préparait à emprunter.
*
Reims, la veille
Sam se laissa choir de l’autre côté d’un muret fermant une cour qu’il dut traverser à croupetons afin d’atteindre une place. Il atterrit dans la terre meuble d’un arrangement floral qui s’en trouva plutôt endommagé. Il se félicita d’avoir franchi sans heurt les remparts imposants de la grande cité. Avec l’aimable complicité d’un bon paysan des alentours qui, lui aussi, s’en venait assister au sacre, il s’était dissimulé dans le tas de foin de l’année précédente que le paysan avait fourché dans sa charrette. Cela avait eu également l’avantage d’accorder un bref répit au garçon qui avait effectué la plus grande partie de son voyage à pied, en empruntant généralement de petits sentiers peu fréquentés afin d’échapper aux contrôles.
Il avait pris sa décision à l’insu de Baillehache, car le métayer lui avait expressément donné l’ordre de demeurer à la ferme pour aider les autres, qui allaient eux aussi rester derrière. Louis devait se rendre au sacre en compagnie de Jehanne et de Blandine seulement, et cette dernière n’allait les accompagner qu’à titre de servante, une façon délicate d’habiller le chaperon. Mais, quelques jours avant le départ du trio dans la charrette de Louis, Sam avait disparu.
L’Escot* ne regretta pas un seul instant le risque qu’il avait pris non seulement d’être capturé, mais aussi d’avoir désobéi à son tuteur. Louis était sévère et exigeant, même s’il ne s’était jamais montré injuste envers lui. Sam était une forte tête et il continuait à lui en vouloir de se trouver là. Pourtant, Louis avait toujours cherché à éviter autant que possible de lui administrer des châtiments corporels ; il se contentait d’imposer au garçon quelque corvée supplémentaire, ou encore de lui défendre de voir Jehanne pendant plusieurs jours. Cette dernière punition suffisait généralement à éviter de nouvelles incartades, car, bien entendu, Jehanne devait la partager avec lui. Il ne lui était arrivé qu’une seule fois d’avoir recours au bois vert. Sam ne put s’empêcher de rire en y
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