Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
Le mariage de la licorne

Le mariage de la licorne

Titel: Le mariage de la licorne Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Marie Bourassa
Vom Netzwerk:
disait-il en regardant pensivement la branche noueuse ou le bout de racine qu’il avait ramené de sa dernière expédition.
    De longs copeaux frisés s’accrochaient parfois en catimini dans les vêtements et dans les cheveux de Jehanne, si bien que lorsqu’elle se glissait sous ses couvertures le soir venu, ils crissaient comme de petits insectes.
    Comme prévu, la fillette s’était remise du départ de Lionel. Elle avait bien conservé une certaine pâleur que Margot attribuait davantage à l’inactivité hivernale qu’au chagrin. Afin de ne prendre aucun risque, elle lui servait toujours au repas une double ration de purée de marrons que Jehanne partageait en secret avec un Sam ravi.
    Sans le fougueux petit Écossais, Jehanne se fût languie de retrouver les arbres fruitiers tordus ombrageant la cour murée de son enfance, où elle s’était tant amusée à chasser des papillons jaunes dans le vignoble qui s’étirait paresseusement sur les pentes douces du Pré-aux-Clercs.
    Les céréales manquaient de façon chronique dans ce pays dont les pentes souffraient de pelade. Heureusement, il y avait une abondance de châtaignes à partir desquelles les domestiques fabriquaient une purée grossière et nourrissante qui, à elle seule, constituait un vrai repas. Ils en mangeaient tous quotidiennement. Personne ne se plaignait de son sort, pas même Aedan qui devait ménager sa mâchoire crénelée. Ils avaient passé une partie du mois de novembre à confectionner des chandelles à mèche de jonc avec toute la graisse qu’ils avaient pu conserver. Les hommes étaient vêtus de peau de daim et Jehanne possédait deux robes de futaine dont l’une, la moins usée, était destinée à n’être portée que le dimanche. Margot en avait soigneusement brodé l’ourlet afin d’en camoufler l’usure. L’un des copeaux d’Aedan s’y était clandestinement accroché et se dandinait gaiement au rythme des pas de la fillette qui quittait la pièce. Le vieillard le regarda faire tout en conversant avec Margot qui s’affairait près de l’âtre où flambaient des fagots.
    Aedan avait entamé sa vie de grand-père paré d’une chevelure et d’une barbe aux longues moustaches celtiques tombantes qui s’étaient toujours refusées au vieillissement : leur couleur de paille lui rappelait les vastes champs de la ferme prospère où avait palpité son cœur de jeune homme. Ses yeux étaient encore plus rebelles au temps : avec leur vert émeraude, ils évoquaient la jeunesse d’un avril qui allait durer toujours. Sam avait les mêmes.
    — Est-ce ma faute à moi si ma tignasse n’a pas blanchi ? C’est comme ça. Avant, j’étais roux comme Sam.
    — Il faut toujours que tu fasses tout autrement des autres, toi, dit Margot, taquine.
    — Le gris est trop banal, ma belle. Il donne le vague à l’âme.
    — Merci bien, dit-elle en levant les yeux vers l’une de ses propres mèches qui s’était échappée de sa coiffe.
    — Oh, mais ne te méprends pas. Tes cheveux à toi ne sont pas du tout gris. Et je te défends bien de leur laisser prendre cet aspect terne. Poivre et sel, voilà ce qu’ils sont. L’assaisonnement de mes vieux jours.
    — Fripon, va. Prends garde à tes paroles. Si Hubert ou les enfants t’entendaient !
    Elle jeta un coup d’œil inquiet en direction de la porte. Mais Hubert était parti chasser depuis l’aube. Quant à Jehanne, elle n’avait heureusement rien entendu.
    L’épaisse porte du manoir s’ouvrit sur un Sam hirsute, couvert de neige. Il retira son bonnet et prit le temps d’aplatir ses boucles rousses avant de s’avancer vers Jehanne. Les joues rougies par l’air vivifiant et par les jeux, il prit place à table en affichant le sourire insouciant qui arrivait toujours à désarmer la grosse Margot lorsqu’il avait commis quelque bourde. Il n’était pas particulièrement pressé ce jour-là de lui apprendre qu’il était presque parvenu à lancer une boule de neige dans la cheminée.
    — Qu’est-ce que tu fais ? demanda-t-il à Jehanne.
    — J’apprends à faire du bouillon. Tu en veux ?
    — Demander à Sam s’il veut manger, c’est comme demander à un poisson s’il a envie d’une petite baignade, fit remarquer Aedan.
    Sam dit :
    — J’aime le bouillon, seanair (10) . Hé ! Jehanne, j’ai construit des remparts de neige près de la tour ! Tu viens jouer ?
    Du jeune avril, ses yeux à elle avaient opté pour les nacres de ses pluies

Weitere Kostenlose Bücher