Le mariage de la licorne
faible du prince et captait les rayons obliques du soleil. L’épée fut ensuite remise au sénéchal de France, qui allait la porter après la messe jusqu’au palais.
Louis se demanda si un tel homme était apte à régner. Dans son optique, comme dans celle de la majorité des gens, un roi devait être avant tout un chef guerrier. Philippe le Bel lui-même était allé se battre à Courtrai, en compagnie de son chancelier Pierre Flotte. Louis ne comprenait pas ces nouveaux rois qui régnaient assis depuis quelque salle feutrée et inaccessible. Même le Navarrais, pourtant en bonne santé, se comportait ainsi, il fallait bien l’admettre. Et cela l’écœurait bien davantage de sa part à lui que de celle de ce Valois souffreteux qui, lui au moins, avait une excuse valable pour se soustraire aux horreurs du champ de bataille.
On apporta le saint chrême sur une patène. L’abbé de Saint-Rémi déboucha la sainte ampoule et recueillit avec une aiguille d’or quelques gouttes de la précieuse huile. Ces gouttes furent mélangées au chrême et l’onction fut prête. L’instant magique approchait. Même le gouverneur Friquet de Fricamp avait oublié depuis au moins une heure de vérifier l’état de sa tonsure.
L’archevêque s’approcha du roi et défit les attaches d’argent de sa chemise, la laissant presque entièrement ouverte afin d’exposer sa poitrine de même que ses épaules frêles et une partie de son dos. Charles s’agenouilla et se prosterna en même temps que lui au moment où commencèrent de longues litanies.
Charles, toujours agenouillé, fut oint sur le sommet de la tête, sur la poitrine, entre et sur les épaules, et finalement aux jointures des bras. L’archevêque dit :
— Je t’oins pour la royauté avec cette huile sanctifiée, au nom du Père et du Fils et du Saint Esprit. Amen.
Il referma la chemise pendant que les prières poursuivaient leur leitmotiv. Plus tard, ce vêtement qui avait été en contact direct avec l’huile sainte allait devoir être brûlé. Le chambellan vint revêtir le roi de sa tunique et de son manteau. L’archevêque oignit les mains de Charles. Le souverain les croisa sur sa poitrine. Le puissant homme d’église fit enfiler au nouveau roi des gants aspergés d’eau bénite, afin que l’huile sainte ne fût pas profanée. L’anneau lui fut donné, de même que le sceptre qu’on lui remit dans la main droite. La verge, symbole de discipline paternelle, lui fut donnée dans la main gauche. Alourdi, empêtré par ses ornements, Charles ressemblait maintenant à une statue de plâtre dans sa châsse.
Le chancelier appela les pairs un par un afin qu’ils fussent officiellement témoins du geste que devait faire maintenant l’archevêque : la couronne fut maintenue au-dessus de la tête inclinée de Charles. Les douze pairs y portèrent la main et la soutinrent, avant qu’elle ne fût posée sur son chef.
— Prenez la couronne du royaume au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit.
Et voilà, c’était chose faite : la France avait un roi.
Charles fut conduit par la main, solennellement, jusqu’à un trône surélevé, afin que tous pussent le voir. Les douze pairs autour de la personne royale soutinrent la couronne. L’archevêque déposa sa mitre et se prosterna devant le nouveau monarque blême et sans force.
— Vive le roi éternellement, dit-il.
Cela fut répété par les pairs. Suivit l’onction de la reine, à la tête et à la poitrine. On lui remit un sceptre et une verge différents de ceux de Charles. Et la messe commença.
Dès la fin de la célébration, le gouverneur de Caen fut intercepté par un homme qui était porteur d’un message urgent pour lui. Il perdit le bourreau et sa fiancée dans la cohue qui déferlait à l’extérieur au son des cloches et mit un certain temps à les retrouver pour leur annoncer qu’ils étaient attendus.
— Ah, Excellence. C’est un grand bonheur pour moi que votre présence à mon sacre, dit Charles V à Friquet de Fricamp que l’on avait introduit dans les appartements occupés pour la nuit par le couple royal dans le plus bel hôtel de Reims.
— Sire, je ne me serais jamais pardonné de ne pas y être.
Le roi prit place dans un faudesteuil*, tandis que le gouverneur ajoutait :
— Je vous suis reconnaissant d’avoir consenti à me recevoir en dépit du fait que j’aie dû m’y prendre plutôt à la dernière minute. Il faut dire que les circonstances
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