Le mariage de la licorne
que sais-je d’autre.
« Et qui donc travaillera à notre place ? » se dit Louis. S’il avait voulu s’arrêter à Paris, il l’eût fait avant d’arriver à Reims. Mais un seul regard du gouverneur suffit à l’empêcher d’exprimer tout haut ses inquiétudes. Ils iraient à Paris, un point c’est tout.
*
Paris, début juin 1364
Au bout d’une semaine de festivités ininterrompues, Jehanne d’Augignac et ses gens avaient enfin pu prendre congé de la Cour pour rentrer. Le gouverneur de Caen profita de l’occasion pour effectuer le voyage avec eux. Ce séjour avait beaucoup plu à la jeune fille, mais, comme elle l’avait expliqué à Blandine, elle avait été surprise de découvrir à quel point son existence simple et paisible lui manquait. Il lui tardait de retrouver l’odeur d’humus de ses landes et des forêts où s’étaient déroulées les fougères, le chant des oiseaux au lever du jour, sa maison rustique et chaleureuse, et bien d’autres choses encore qu’elle préférait ne pas nommer. Et pour cause.
Quelque chose était en train d’arriver à Louis. Il n’était plus le même. C’était sans aucun doute dû à son exposition prolongée aux essences de sa ville natale, car il s’était mis à en parler. Fort peu, à vrai dire, mais venant de lui c’était beaucoup.
Il commença par emmener Jehanne et Blandine rue Gît-le-Cœur pour leur montrer une belle maison à colombages.
— Est-ce que c’est ce que je pense ? demanda Jehanne en avisant l’étal ouvert et l’écriteau se balançant à ses deux bouts de chaîne.
Un gros pain portant une marque faite de trois traits sinueux y était dessiné.
— Oui. C’est là que j’ai grandi.
— Oh ! Allons-y !
La porte de la boulangerie s’ouvrit et une demi-douzaine d’enfants s’égaillèrent dans la rue. De son étal, une Clémence au ventre florissant les rappela à l’ordre.
— Non, vaut mieux pas, dit Louis en réponse à l’exhortation de sa fiancée.
— S’il vous plaît, maître !
Il était évident que l’idée la tentait encore plus maintenant qu’elle avait aperçu les enfants, dont quelques-uns devaient être à peu près du même âge qu’elle. Louis se laissa donc traîner par la main jusqu’à l’étal où Jehanne l’abandonna aux soins de Clémence pour s’en aller faire connaissance avec « sa future famille », comme elle l’avait dit elle-même. Elle ne vit rien de la réserve de son fiancé envers la boulangère, ni n’entendit leurs rares propos. Ils furent tous deux invités à se joindre à une table déjà nombreuse, généreusement garnie de victuailles. Les deux filles plus âgées prêtèrent main-forte à leur mère pour le service.
— Où est Hugues ? demanda Louis en mordant dans un quignon de pain de Chailly dont il évalua la saveur et la texture.
— Il est au moulin, dit Clémence.
— Chez Bonnefoy ?
— Oui. Mais il y a belle lurette que ce n’est plus comme ça qu’il s’appelle, le moulin. L’affaire a été reprise par de la parentèle éloignée. Des Morissel venus du côté de Sainte-Geneviève (103) , je crois.
Elle lui raconta comment la boulangerie avait survécu à l’assaut anglais :
— Hugues a distribué tout le pain et le grain aux bourgeois et est allé avec les autres hommes se porter volontaire aux défenses de la ville. Nous autres, les femmes, nous sommes allées nous cacher à l’hôtellerie du monastère avec les petits et le reste du patrimoine. Quand nous sommes revenus de là et que nous avons vu la maison encore debout, nous avons remercié le ciel en faisant une donation aux moines. Ils ont été si bons envers nous.
Le repas terminé, Louis refusa l’hospitalité qui leur était offerte pour la nuit qui n’allait pas tarder à tomber, alléguant que Clémence aurait eu à loger deux personnes supplémentaires, soit Blandine et Friquet de Fricamp. De plus, le gouverneur avait déjà retenu deux chambres pour eux dans un presbytère – une pour Jehanne qui allait la partager avec Blandine et une pour lui-même. Louis avait choisi de dormir près de l’âtre de la pièce à vivre.
Sans un mot d’explication, Louis emmena Jehanne sur les berges de la Seine où ils marchèrent sous les feux du couchant jusqu’à ce qu’ils parvinssent au talus qui surplombait l’ancien moulin des Bonnefoy. Il se laissa bercer comme jadis par le bruit rythmé que faisaient les pales dans l’eau et par la rumeur des
Weitere Kostenlose Bücher