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Le mariage de la licorne

Le mariage de la licorne

Titel: Le mariage de la licorne Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Marie Bourassa
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et les spectateurs se mirent fiévreusement en quête du roi.
    — Il est là !
    Un dais d’azur fleurdelisé venait d’apparaître dans la foule des dignitaires qui avançaient à pas lents. Il tanguait telle une nef sur la houle et se creusait selon l’inclinaison que l’on faisait prendre à ses hampes de soutien. Dessous, il y avait la silhouette d’un petit homme dont la pâleur était accentuée par son habit de velours rouge un peu défraîchi (97) . Une couronne singulièrement haute mais sûrement légère ornait son chaperon. Il était difficile de voir que Charles de Valois montait un rouan sous son dais. On disait de lui que c’était un cavalier assez médiocre. S’il tenait bien en selle, c’était parce qu’on avait pris la précaution de lui fournir une monture que l’âge avait rendue aussi placide qu’une haquenée. Sam eût sans inquiétude confié Jehanne à un cheval aussi docile que celui-là. Charles gardait la main droite posée sur son giron. C’était de la gauche qu’il tenait mollement les guides du rouan.
    Après lui tanguait la litière de la reine Jeanne de Bourbon, son épouse (98) . Les mantelets* partiellement relevés montraient qu’elle avait l’air épuisé. De faible santé également, elle souffrait de malaises que l’on nommait fièvres. La litière de la reine traînait une suite interminable composée de dignitaires, de courtisans avec leur valetaille, ainsi que d’autres gardes désignés pour veiller à la sécurité du couple royal.
    — Vive le roi ! Noël ! Noël (99)  ! Longue vie ! criait Sam, avec les autres qui partageaient son perchoir, en agitant le tartan des Aitken en guise de fanion.
    Il sentait le besoin irrésistible d’inoculer au jeune roi d’allure chétive un peu de son énergie à lui, de son enthousiasme, et peut-être aussi un brin de son courage propre à déplacer une montagne d’Écosse.
    Alors que la procession passait sous eux, il redoubla d’ardeur et remarqua vaguement le chevalier en civil qui, du haut du toit voisin, s’était trop dressé et venait d’échapper sa dague. L’arme glissa, d’abord lentement, puis en accélérant, jusqu’au bord du toit. Elle disparut en bas. Sam cessa de secouer son plaid, interloqué : les gens qui se tenaient avec l’homme l’empoignaient et s’étaient mis à l’injurier.
    — Misérable, on a vu ce que tu essayais de faire. Tu le visais, criait quelqu’un.
    — C’est faux ! Je ne visais personne. J’ai échappé ma dague, c’est tout. Je ne l’ai pas fait exprès.
    Ils se mirent à se bousculer si fort que quelques-uns manquèrent tomber du toit.
    — Voyons, lâchez-moi ! Mais puisque je vous dis qu’il s’agit d’un malencontreux accident.
    Sous eux, la procession passa son chemin, apparemment inconsciente de ce qui survenait au-dessus d’elle. Il y avait beaucoup de bruit. Un seul garde leva la tête dans leur direction et fit signe à deux de ses collègues. Un bourgeois l’arrêta afin de lui remettre la dague perdue.
    Sam, l’artilleur de Crécy et tous les autres ne remarquèrent pas le travail discret des gardes. Ils s’étaient vite désintéressés de ce qui n’avait l’air que d’une prise de bec entre ivrognes pour diriger leurs regards vers la cathédrale de Reims. Ils voulaient en manquer le moins possible, car la procession s’apprêtait à se soustraire à leur vue et à celle de la foule qui était trop immense pour la suivre à l’intérieur de l’église.
    Les gens n’allaient pas partir pour autant. Ils étaient venus là pour assister à quelque chose de grand, de sacré, que l’on n’avait nul besoin de voir pour en sortir meilleur qu’avant. Être couronné à Reims, c’était ni plus ni moins qu’être déifié. Aucun autre roi de ce monde ne pouvait se targuer d’avoir droit à l’héritage laissé dans l’histoire par Clovis, le roi des Francs qui, près d’un millénaire plus tôt, avait été baptisé en ces lieux mêmes. Une colombe avait apporté à l’évêque Rémi une ampoule d’huile unique au monde, une sainte ampoule qui était destinée à faire de lui un roi de France. C’était la même ampoule qui les avait tous faits roi depuis, et elle allait ce jour-là en créer un nouveau.
    La cathédrale avala le monarque, sa suite, les guildes rémoises et tout le reste des somptueux oripeaux comme une opulente coulée de métaux précieux. Ses deux tours carrées qui allaient pour toujours demeurer

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