Le mariage de la licorne
cuire, à l’Escot*, dit Hubert tout bas aux autres qui rentraient d’un pas réticent, laissant Jehanne et Lionel traîner loin derrière.
Force leur était tout de même d’admettre que Louis savait démontrer de la considération envers celui qui allait se faire battre, car il prenait soin de ne pas lui administrer la punition devant sa famille.
Sam essaya de profiter du fait que le métayer avait le dos tourné pour filer en douce. Mais Louis le retint par le pan de laine mouillée qui lui adhérait à l’épaule.
— Hé ! là, hé ! là, ne bouge pas de là, toi ! Tu ne crois tout de même pas que je vais te laisser t’en tirer comme ça, hein ? J’ai été assez patient avec toi. Maintenant, tu vas apprendre à me connaître.
— Justement, je vous connais déjà trop. Lâchez-moi. Allez au diable !
Sam se mit à se débattre. Louis parvint à l’immobiliser assez rapidement en le retournant pour le plaquer contre lui et en lui tirant un bras derrière le dos. Il le maintint fermement dans cette position pour l’entraîner dehors, en direction de la grange.
— Maître ! Maître, attendez !
Louis s’arrêta et se retourna sans lâcher son captif. C’était Jehanne qui revenait en courant vers eux. Sa capeline était en train de tomber, révélant une longue natte dont le pinceau était terni par de fréquents essuyages de doigts. D’avoir perdu la face devant elle était plus que Sam n’en pouvait supporter. Il se débattit de plus belle, sans succès.
— Maître, s’il vous plaît, ne lui en veuillez pas. Il a parlé dans la colère, supplia Jehanne en posant la main sur la manche de son fiancé.
Mais Louis secoua son bras comme s’il ne pouvait soudain plus supporter d’être touché.
— Pardon, dit Jehanne, contrite.
Comment une telle chose pouvait-elle survenir, après les beaux moments qu’ils avaient passés ensemble ? Que fallait-il faire pour tenter d’adoucir quelque peu ce maître qui semblait ne vouloir manifester aucune indulgence ? N’éprouvait-il donc réellement aucune affection pour personne ?
— Ne te mêle pas de ça, Jehanne, dit Sam. Louis donna une secousse à l’adolescent et dit :
— Toi, la ferme. Puis, il appela :
— Margot !
Il attendit la servante qui avait rebroussé chemin pour revenir à leur rencontre. Sans un seul regard pour Jehanne qui lui avait lâché le bras, il ordonna à la gouvernante :
— Conduis-la à sa chambre. Veille à ce qu’elle y reste jusqu’à ce que j’aie fini. Et ferme ses volets.
— D’accord, maître, dit la grosse femme en pinçant les lèvres. Et, à Jehanne :
— Allez, venez avec moi, ma tourterelle.
— Non ! Je ne veux pas. Margot, attends. Il va arriver un malheur, je le sais ! Non ! S’il vous plaît, lâchez-le ! Maître ! Sam !
Hubert dut lui aussi rebrousser chemin afin de prêter main-forte à son épouse.
Louis entraîna vers la grange un Sam qui continuait de lui résister en silence, comme si les cris et les pleurs de son amie s’exprimaient à sa place. La porte de la grange se referma sur eux.
Dès cet instant, la bravade déserta l’adolescent. Il ne se défendit plus que par l’effet de sa propre frayeur. Car, pour la première fois, il se mit à craindre Louis. Quoi qu’il tentât de faire, il ne pouvait rien contre l’inconcevable force physique de cet homme en noir. Louis semblait avoir six mains et déployait une aptitude démoniaque à le neutraliser. En moins d’une minute, il lui lia les mains sur le devant et le souleva pour l’asseoir à califourchon sur un petit escabeau. Après quoi, il s’accroupit à ses pieds. Levant les yeux sur Sam, il lui dit :
— Ne t’avise pas de me frapper si tu ne veux pas finir tes jours en cul-de-jatte.
Il se détourna pour éviter un crachat et, chose étrange, il entreprit d’attacher aux chevilles de Sam deux petites meules à grain qui ne servaient plus depuis que le moulin avait été remis en fonction. Elles s’ajoutèrent au poids de Sam et l’empêchèrent de se débattre, faisant douloureusement appuyer la traverse étroite de l’escabeau contre ses parties génitales. Tout en dénudant le torse de Sam et en laissant pendre ses habits trempés à ses poignets, Louis expliqua, le plus calmement du monde :
— Pour ce que tu vaux comme garçon d’écurie, faut bien que je t’empêche de te faire désarçonner (105) . Estime-toi heureux qu’il n’y ait pas de pointes sur la croupe
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