Le mariage de la licorne
qui entrait à la suite de Flocon.
Elle prit place à ses côtés et s’efforça d’adopter un ton insouciant, afin de chasser l’angoisse qui lui mordillait les entrailles :
— Ils m’ont laissée sortir de ma chambre pour le goûter, mais je n’ai pas eu la permission de venir te voir avant, pas même au dîner. Ça va être l’heure du souper. Viens-tu ?
— Non, je n’ai pas faim. Laisse-moi seul. S’il te plaît. Et emmène ce chat.
— Laisse-moi au moins te soigner.
— Inutile. C’est déjà fait.
Elle lui posa sur le front une main fraîche comme un grand pétale.
— Oh, tu es brûlant de fièvre. Et en plus, c’est très mauvais, ce que tu fais là, dit-elle d’un ton maternel en portant la main vers le flacon.
— N’y touche pas. Ça me fait du bien. Et pas seulement à moi. Ça m’apaise et ça m’empêche d’aller l’occire.
— Ne dis pas ça, Sam ! Montre-moi.
— Non. Pas à toi.
— Je veux voir et c’est un ordre.
L’adolescent n’eut d’autre choix que d’abdiquer. Il s’assit pour retrousser sa tunique et souleva avec précaution l’un des bandages. Deux plaies entrecroisées, rouges et luisantes d’onguent, allaient se perdre dans le bandage suivant.
Horrifiée, Jehanne se mordit les doigts. Sam dit :
— Je le déteste. Il m’a bien abîmé, mais ne t’en fais pas : j’aurai ma revanche. Je fourbis mes armes. Un jour, il me paiera ça, je te le garantis. Il va payer dix fois chacun des coups qu’il m’a donnés. Tout ce qu’il m’a enlevé, je le lui ferai perdre.
Oui, le jour viendrait où il allait arracher juste assez de vie au bourreau pour pouvoir s’en aller. Loin. Il s’effacerait. Nul ne le retrouverait plus. Pas même lui. Parce que lui, il le savait, ne le chercherait pas.
Il se leva. Le plancher devenu inégal l’insulta personnellement. Il saisit Jehanne par les épaules.
— J’ai quelque chose à te dire, Jehanne. Je ne plaisante pas. Fuis-le, pendant qu’il en est encore temps, avant qu’il ne jette ses rets sur toi pour de bon. C’est un monstre.
Sam grelottait si violemment que sa voix en était affectée. De minuscules capillaires rouges couraient en tous sens dans le blanc trop humide de ses yeux. Il dit encore :
— Je n’arrive pas à comprendre comment tu ne t’en rends pas compte par toi-même. Penses-y un peu. Ce que tu as vu là, ce n’est que le début. Ce n’est rien du tout. Je le sais, j’étais là. Et on n’est rien pour lui. Ni toi, ni moi, ni personne. Il est mauvais. C’est un vicieux et un meurtrier assoiffé de sang. Je t’en supplie, Jehanne, ne lui donne jamais une raison de goûter au tien.
— Arrête ! Non, arrête !
Jehanne, effrayée, légèrement écœurée par son haleine chargée d’eau-de-vie, détourna la tête. Elle dit :
— Sam, je t’interdis de lui manquer de respect. Il est aussi mon fiancé.
— C’est toi que je respecte, pas lui.
Jehanne, à son tour, se mit à trembler, mais d’indignation. Elle cria :
— On ne dirait pas ! Tu te comportes comme un voyou !
Il soupira.
— Jehanne, écoute. J’ai une idée. J’y ai pensé tout l’après-midi. Il y a un moyen de lui échapper. Tous les deux. Seulement, tu devras y mettre du tien.
— Tu veux vraiment t’en aller d’ici, Sam ? Ta maison… celle de ton grand-père, la tour, les chats…
— Il faudra bien qu’on en vienne là un jour ou l’autre si on veut voyager. Mais ce n’est pas tant la maison que je désire quitter que lui. Et pour y arriver, la meilleure solution, c’est le rapt.
— Le quoi ?
— Le rapt. Un enlèvement, si tu préfères. Je fais semblant de t’enlever et nous partons nous marier en vitesse. Cela s’est déjà vu et c’est possible, même sans le consentement des tuteurs. On est adultes, toi et moi, Jehanne. Nous avons parfaitement le droit de faire ça.
— Mais…
— Si nous y parvenons, il ne pourra plus rien faire. Notre union ne pourra être dissoute que si tu soutiens y avoir été contrainte par la violence et sans ton consentement.
En proie à l’excitation éthylique, Sam ne remarquait pas l’abattement subit de son amie. Il se laissa choir dans le foin en gémissant et l’entraîna dans sa chute.
— Je t’aime, Jehanne. Tu le sais. Pour moi, tout est clair depuis longtemps : je n’en marierai jamais une autre que toi, jamais.
Ils s’embrassèrent avec une fougue désespérée. Les gestes brusques de Sam
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