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Le mariage de la licorne

Le mariage de la licorne

Titel: Le mariage de la licorne Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Marie Bourassa
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mort. J’essaie souvent d’imaginer ce que doit être son existence, de savoir ce qu’il veut, s’il se bat pour obtenir quelque chose ou bien pour y échapper. Cela doit être terrible.
    Jehanne avait écouté cette conversation à leur insu. Elle avait trouvé étrange qu’on pût songer que Louis aurait pu avoir peur de quelqu’un. Il n’y avait pourtant rien dans son comportement qui pouvait porter le moine à penser cela. Loin de là. Lionel avait ajouté :
    — Notre Jehanne n’est désormais plus protégée par le caractère sacré de l’enfance, ma bonne Margot. J’ai tout lieu de croire qu’elle est devenue extrêmement vulnérable. Tu me suis ?
    — Je vois ce que vous voulez dire, mon père.
    — Il sera bon de les avoir à l’œil. Surtout avant le mariage. Elle n’est pas encore prête.
    — Et lui ?
    — Lui l’est trop, si j’ose dire, et il ne s’en doute probablement pas. Pas plus qu’il ne se doute de la raison qui lui fait accepter le mariage alors qu’il se sait incapable de ressentir la moindre affection. Ce paradoxe me préoccupait beaucoup avant que j’y aie vu le résultat d’un pressant besoin de sécurité. Le statut de mari le mettra à l’abri de l’obligation d’aimer sans que rien n’y paraisse ; il détiendra l’autorité, il aura donc le droit de posséder. Si rien ne survient pour inverser en lui ce mode de pensée, il verra Jehanne comme sa chose.
    Et le père Lionel s’était subitement tu.
    Louis se demanda ce que Jehanne pouvait bien trouver de si intéressant à son caillou. Il s’étira en soupirant. Le caillou, réchauffé par la paume moite et nerveuse de la jeune fille, sursauta et prit la fuite. Ils le regardèrent tous deux dévaler la pente herbeuse qui s’étendait à leurs pieds, incrédules, comme s’il s’agissait là de quelque manifestation divine. Le caillou accéléra et bondit pour aller se perdre entre les tiges ondulantes des herbes folles. Jehanne n’avait plus rien dans la main. Elle se mit à grelotter. Louis dégrafa son floternel* et lui en couvrit les épaules.
    — Merci, dit-elle.
    — De rien.
    Elle s’en enveloppa avec reconnaissance. La tiretaine noire était lourde, épaisse, emplie de sa chaleur à lui, de son odeur. Elle lui sourit et se pelotonna contre lui. Tout de suite, les bras protecteurs l’entourèrent comme des remparts. C’était doux et rassurant comme ça l’avait toujours été. Comment avait-elle pu croire un instant que Louis s’apprêtait à la prendre par la force ? Comment le père Lionel pouvait-il penser que Louis était peut-être dangereux ?
    — Vous n’allez pas voir si Hugues est là ?
    — Non.
    — J’aime beaucoup votre famille. Vous ne m’aviez pas dit que vous aviez une sœur.
    — Par alliance seulement.
    Et il lui raconta brièvement l’histoire de Clémence et d’Hugues en omettant certains détails. Tout en l’écoutant, Jehanne essaya d’imaginer à quoi pouvaient ressembler les caresses de cet homme taciturne et ascétique, quel pouvait être le contact de ses mains calleuses sur sa peau nue, celui de son corps de grand félin se moulant au sien et le goût défendu de ses baisers. C’étaient là des choses diffuses qu’elle désirait plus ardemment au fur et à mesure que se développait en elle le contenu mystérieux d’une chrysalide dont le papillon, une fois éclos, allait s’appeler femme.
    De craintive, l’attitude de Jehanne se modifia d’une façon marquée. Les brèves confidences de son fiancé ne pouvaient évidemment pas avoir produit cet effet-là. Il se tut et la regarda. Le jeune visage exprimait assez clairement les désirs qu’avaient déclenchés ses fantasmes. Jehanne se passa sur les lèvres un bout de langue à peine rose. Et Louis devina tout, avec sa façon bien à lui de percevoir ce genre de choses.
    Elle prit soudain conscience qu’il avait cessé de parler et que son regard pénétrant était fixé sur elle.
    — Pardonnez-moi, maître. Je n’ai rien compris de ce que vous venez de me dire. Ce doit être la fatigue.
    Elle se rendit compte qu’il n’en croyait pas un mot et baissa honteusement la tête.
    — Je ne suis qu’une enfant folichonne. Vous savez, je ne pensais pas à mal.
    — Ne vous inquiétez pas. Ça restera entre nous. En fait, j’en suis plutôt flatté.
    — C’est vrai ?
    — Mais oui.
    Soulagée, elle se pelotonna à nouveau contre lui et soupira.
    — Le seul homme auquel j’ai droit

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