Le mariage de la licorne
le bon père Lionel.
Une fois que j’aurai pris le voile, des dispositions vous seront communiquées quant à ce qu’il convient de faire de mes biens, dont une partie est d’avance destinée à constituer ma dot (131) .
Je vous prie de bien vouloir avoir la bonté de respecter mon vœu qui est de me retirer du monde afin d’offrir ma vie en sacrifice au doux Jésus. Vous, plus que quiconque, devez savoir qu’il est le seul refuge valable contre les atrocités de ce monde. Encore une fois, pardonnez-moi si je vous ai fait de la peine. Ce n’était pas mon but. Je vous promets de consacrer ma vie tout entière à prier pour votre bonheur.
Je demeure, cher maître, votre bien dévouée,
Jehanne d’Augignac
Lionel tendit la feuille à Louis, qui la prit machinalement. Il se dit qu’elle avait été de toute évidence rédigée avec le secours de quelque bonne sœur. Ce style impersonnel ne ressemblait en rien à la Jehanne qu’ils connaissaient tous. Songeur, le bourreau avait levé les yeux sur la fenêtre fermée par laquelle s’infiltrait un peu de la lumière défaillante de ce jour. Il écouta attentivement le tambourinement que faisait la pluie morne contre le parchemin ciré. Et soudain, le papier fut rejeté sur la table, comme s’il ne méritait pas même la destruction.
— Ce n’est qu’une bêtise, dit-il.
— Comment ?
— Pas question que j’aille la supplier de revenir.
— Maître, comment pouvez-vous croire que je vous laisserais en arriver là ?
— Je n’ai rien demandé.
— Je sais, je sais ! Vous ne demandez jamais rien, dit Lionel avec exaspération.
Le moine se leva et marcha jusqu’à la fenêtre.
— Et cette maudite pluie qui n’arrête pas. Ces draperies sont-elles sales ? Il me semble qu’elles étaient blanches. Maître, qu’allez-vous faire ?
Louis parut réfléchir sans quitter la lettre des yeux. Il alla s’asseoir à la place de Lionel. Le tabouret grinça. Il demanda :
— Vous savez pourquoi elle fait cela, n’est-ce pas ? Et surtout, à cause de qui ?
— Mais je… Oui, je le sais. N’existe-t-il donc aucun secret qui soit à votre épreuve ? Dites-moi, comment l’avez-vous su ?
— Vous avez vos secrets, j’ai les miens. Savez-vous où est Aitken ?
— Maître, je suis désolé. Le secret de la confession est inviolable. Lionel espérait ainsi détourner Louis d’une éventuelle intention d’interrogatoire. Pour mettre toutes les chances de son côté, il se hâta de demander :
— Mais pourquoi ne pas m’avoir dit plus tôt que vous saviez pour Samuel ?
Le bourreau haussa les épaules. Lionel reprit :
— C’est drôle, mais j’ai remarqué que, lorsque vous faites ce geste, cela ne veut pas forcément dire que vous ne savez pas. Auriez-vous une idée ?
— Oui. Je vais répondre à cette lettre.
Stupéfait, le moine dut chercher un endroit où se rasseoir. Il n’y avait que sa couche. Comme il avait besoin de s’éponger le front, il pensa aux draperies, mais opta plutôt pour une chemise abandonnée qu’il avait poussée du pied dans un coin.
— Eh bien, cela mérite réflexion, dit-il.
Ne trouvant pas d’endroit convenable pour poser la chemise, il la roula en boule et la cacha derrière un coffre où elle allait être oubliée pendant plusieurs semaines.
— C’est tout réfléchi, dit Louis en se levant et en désignant le tabouret au moine.
Ce dernier reprit sa place et prépara tout ce qu’il fallait pour écrire. Pendant ce temps, Louis attendait en marchant autour de l’étude, les mains dans le dos. Une fois, il s’arrêta pour soulever dans le pot de grès une plume de sarcelle mal taillée. Il dit :
— Au fait, je désire signer cette lettre. Vous m’apprendrez. Lionel leva les yeux sur lui, interloqué. Il comprit subitement la raison de cette requête. Il ne pouvait être question d’utiliser le pictogramme de hache pour une lettre destinée à celle qui fuyait le bourreau. Cet homme, aussi terrible qu’il pût être, possédait parfois une délicatesse dont étaient dépourvus bien des gens ordinaires.
— D’accord. Allez-y, je note, dit Lionel.
Louis s’arrêta à sa hauteur et dicta assez lentement, sans toutefois répéter :
— À Jehanne d’Augignac, abbaye aux Dames, Caen. Damoiselle, vous n’avez pas à vous faire moniale sauf si c’est votre réel désir. Je m’en vais.
La plume de Lionel dansait avec aise sur le parchemin et y formait de
Weitere Kostenlose Bücher