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Le mariage de la licorne

Le mariage de la licorne

Titel: Le mariage de la licorne Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Marie Bourassa
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petits traits qui étaient d’une précision gracieuse, presque féminine. Il retrempa son instrument dans l’encrier, le tint au-dessus de la feuille et attendit la suite.
    — C’est tout, dit Louis, et il tendit la main pour avoir la plume.
    — Euh… Si vous n’y voyez pas d’objection, je préférerais que vous n’utilisiez pas celle-ci. C’est ma meilleure et elle s’est faite à ma main.
    — Comme vous voudrez. Maintenant, montrez-moi.
    Il alla prendre la plume de sarcelle. Lionel se mit en quête d’une petite retaille de parchemin et se rassit.
    — Que désirez-vous signer ? « Baillehache ? »
    — Non, « Louis ».
    Lionel le regarda, stupéfait. C’était là quelque chose de beaucoup plus précieux qu’il n’y paraissait car, d’instinct, personne ne désignait jamais le bourreau par son prénom.
    — Très bien, dit le moine.
    Louis s’accroupit à ses côtés et l’observa attentivement alors qu’il écrivait. Le moine lui céda ensuite sa place et lui apprit à former une à une les lettres de son court prénom, ce qui exigea beaucoup de patience de leur part à tous deux. Après quelques essais sur le vieux bout de parchemin, le bourreau se sentit prêt pour la lettre. Sourcils froncés, lèvres légèrement pincées, il fit crisser la plume. Lionel songea que, s’il avait été moins impressionnant, il eût ressemblé à un écolier modèle. Tout penché ainsi, avec la plume dans sa grosse patte, Louis devenait tout à coup plus humain, plus accessible, comme si un moule de plâtre, en se cassant, révélait la véritable nature de l’œuvre qu’il y avait à l’intérieur.
    Le bourreau rejeta la plume négligemment et regarda sans le voir un lutrin sur lequel reposait un livre d’heures ouvert. Il dit :
    — Bon. Je vous laisse apposer le cachet. Moi, je m’en vais boucler ma malle.
    — Un instant, maître. S’il vous plaît. J’aurais auparavant deux faveurs à vous demander.
    — Dites toujours.
    — Accordez-moi une semaine avant de partir. Une semaine. C’est tout ce que je demande.
    — Faux. Vous m’avez bien parlé de deux faveurs. Je réfléchirai à la première. Quelle est la seconde ?
    — Celle de rajouter quelque chose à votre lettre sans exiger de moi que je vous en fasse lecture. Autrement dit, mon fils, je vous demande de m’accorder votre confiance.
    Le bourreau sentit une main se poser sur son bras. Il sursauta et se tendit. Les mâchoires serrées, il se déroba en se redressant.
    — Je n’aime pas qu’on me touche, dit-il en faisant face au bénédictin.
    — Excusez-moi !
    Louis referma le livre d’heures et l’empêcha de tomber de son lutrin. Lionel dit :
    — Prenez le temps d’y réfléchir. J’attendrai votre réponse pour cela aussi.
    — Inutile d’attendre. Il n’y a plus rien à dire. Finissez-en, que je fasse venir Toinot au plus vite. C’est lui qui portera la lettre.
    Il sortit et referma la porte derrière lui, laissant Lionel seul. Le moine parcourut une nouvelle fois les quelques lignes qui lui avaient été dictées par le maître. « Ceci est loin de suffire, se dit-il avec désespoir, et partir n’est pas une solution. » Puisqu’il ne pouvait toucher à l’homme, il caressa d’une phalange la signature grossière, forte, ce Louis de parchemin qui, lui, se laissa faire.
    Jehanne était encore si jeune. Le changement d’écriture n’allait sûrement pas manquer d’attirer son attention, mais allait-elle être en mesure de comprendre toute la portée qu’il y avait dans ce petit nom, Louis ? Allait-elle comme lui y percevoir le même embryon d’amour ? Combien difficile ce devait être pour lui de refouler pareilles émotions. Lionel soupira et se rassit.
    « Et il faut maintenant que j’enfreigne sa volonté », se dit-il.
    Lionel repoussa la troisième tentative de lettre qu’il destinait à Jehanne. Il soupira, se frotta les yeux et se leva. « Tous ces parchemins à gratter », songea-t-il en jetant un coup d’œil navré en direction de son étude. Il marcha jusqu’à la porte, mais sa main n’atteignit pas le petit levier qui actionnait le loquet. « Oh ! et puis non. Ce sera encore pire de m’y rendre en personne. Bonté divine, comment se fait-il que j’aie autant de mal à m’y mettre ? »
    Découragé, il se rassit et tira une nouvelle feuille à lui. Cette fois-ci devait être la bonne, car il ne lui restait plus rien d’autre pour écrire. Il s’en

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