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Le mariage de la licorne

Le mariage de la licorne

Titel: Le mariage de la licorne Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Marie Bourassa
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en vain la volonté de Lionel. Jehanne ne bougeait pas.
    — Vous êtes tout blême, maître. Vous sentez-vous bien ? demanda-t-elle avec inquiétude.
    Mais Louis ne parut pas l’entendre. Son regard froid lui passa à travers le corps comme si elle n’existait pas. Elle tressaillit.
    — Que… que se passe-t-il ?
    Elle ressemblait à une biche qui, tout en se sachant atteinte d’un coup fatal, n’éprouvait pour un instant qu’un étonnement dépourvu de douleur physique. L’homme avança d’un pas. Une dague étincelait dans sa main droite. Son visage n’exprimait rien. Il dit, d’une voix neutre :
    — Je ne t’aime pas.
    — Quoi ?
    Un bruit de verre fracassé monta de la jolie source, et la voix de Jehanne alla s’y perdre :
    — Maître, ce… ce n’est pas vrai ?
    Il alla se placer juste devant elle. D’une seule poussée dédaigneuse et brutale, il la fit trébucher. Elle tomba assise parmi un fouillis de racines noueuses. Imperturbable, Louis se baissa pour l’immobiliser efficacement et sans aucun effort, comme si la panique de la jeune fille ne le concernait en rien. Comme si elle n’était qu’une chose. Il s’assit sur elle et retint l’une de ses mains avec le genou. La main demeurée libre chercha à serrer le poignet de l’homme en noir, mais celui-ci se dérobait sans cesse avec une patiente indifférence. Les gémissements inarticulés de Jehanne se transformèrent en cris terrifiés. Une grande main se plaqua contre sa joue et l’obligea à tourner la tête. Louis la maintint fermement dans cette position. Entre deux doigts presque noirs, elle put encore apercevoir le visage impassible penché sur elle, avec sa mèche de cheveux foncés si familière qui lui barrait toujours le front. Le bras droit de l’homme se leva. La lame brilla un instant au-dessus de sa gorge, puis redescendit en un éclair.
    Lionel se réveilla en sursaut, couvert d’une sueur glacée.
    Margot entendit vaguement de l’eau crépiter sur le plancher de la chambre de Lionel. Le broc qui l’avait contenue l’y suivit. Elle avait beau être habituée aux nuits blanches du moine, à ses incessantes allées et venues entre sa natte et sa table de travail, il ne faisait habituellement pas autant de bruit. Elle décida donc de se lever et d’aller vérifier. Elle prit une chandelle et alla cogner à sa porte.
    — Mon père ? Tout va bien là-dedans ?
    — Oui, oui, Margot, ça va. Je me suis mal réveillé, c’est tout. Désolé pour le broc.
    — Ne vous en faites pas, ce sont des choses qui arrivent. Voulez-vous que je vous en monte un autre ?
    — Ne te dérange pas pour cela, ma fille. Où est le maître ?
    — Mais, en haut comme d’habitude, mon père. Il dort.
    — Ah oui, c’est vrai.
    — Dites donc, êtes-vous certain que ça va, vous ?
    Elle n’obtint pour toute réponse qu’un petit son étouffé. Peut-être s’était-il recouché. Elle décida de retourner faire de même.
    Lionel n’avait pas regagné sa couche. Assis à son étude, il se prit la tête à deux mains. « Quel cauchemar. C’était comme… s’il ne sentait rien. Il ne la haïssait même pas. Elle se trouvait dans son chemin, c’est tout. Ce rêve ne m’appartient pas. Dieu, que donnerais-je pour ne pas l’avoir fait ! » pensa-t-il.
    Lorsque Louis était revenu seul à la ferme après deux semaines d’absence, il n’avait soufflé mot à personne. Il n’avait rien demandé non plus. Sam et Jehanne étaient partis ensemble à l’insu des domestiques, point final. Depuis, aucune nouvelle d’eux. Si on évitait avec soin de prononcer le mot enlèvement, chacun n’en pensait pas moins que là se trouvait la clef du mystère de leur disparition. C’était bien simple. Leur affection mutuelle qui datait de l’enfance était connue de tous. Une fois majeurs, les deux tourtereaux n’avaient donc eu qu’à attendre le moment propice pour filer et se marier en secret. À chaque nouveau jour qui passait, cette certitude prenait plus de force. Les habitants du manoir se laissaient volontiers rassurer par elle, car elle permettait de ne pas penser à une autre éventualité, beaucoup plus effrayante, celle-là. Pourtant, le père Lionel ne pouvait plus penser qu’à elle seule. Car lui, il savait. Et le cauchemar qu’il venait de faire semblait confirmer ses craintes. Louis avait-il tué Jehanne ?
    *
    Comme toujours lorsqu’il cherchait en vain des réponses à ses questions, le père

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