Le mariage de la licorne
de Mathurin, l’un de nos bons paysans. Aucun des membres de sa famille n’est dangereux, hormis peut-être Mathurin lui-même.
— Eh, oh ! J’ai entendu, mon père. Faites pas attention à ce qu’il vous raconte, celui-là, ma p’tite dame, dit Mathurin qui prêtait main-forte à Margot auprès des rôtis.
Lionel dit :
— Voyons, mon ami, lequel de nous deux est le plus mauvais perdant au trimard* ?
— Oh et puis zut. Moi, je ne joue plus jamais avec un prêtre. On ne peut même pas jurer tranquille.
— On dit ça, on dit ça… Oh ! regardez un peu qui vient là. C’était Sam. Il était attiré par l’assortiment de petits flaconnages remplis d’eau-de-vie que l’on avait gracieusement mis à la disposition des ménestrels.
Entre-temps, la charrette arrivait. Elle s’immobilisa sous les vivats. Louis descendit le premier et offrit son bras à Jehanne. Elle s’empressa de le prendre après avoir rajusté sa troussoire* ouvragée. La dame distinguée, qui était Desdémone, remarqua :
— Admettons à sa décharge, en dépit de ce qu’il est, que c’est un homme courtois.
— En effet, dit Sam. Il se montre toujours très poli envers ceux qu’il raccourcit.
— Vraiment ? Et à qui donc ai-je l’immense honneur de m’adresser ? Il me semble t’avoir déjà vu quelque part.
— Moi aussi, je vous ai déjà vue. Et je sais où. Je m’appelle Somhairle Aitken.
— Hum, un Escot*.
— Oui. Quoi ! Ça vous embête ? Qu’êtes-vous venue faire ici ?
Elle éluda la question.
— À ce que je vois, tu fais partie des musiciens.
— Si on veut. Il ne me reste plus que ma voix. J’ai perdu ma cornemuse. Entre autres.
Sam jeta un regard amer en direction de la table d’honneur où des gens commençaient à prendre place à la suite des mariés.
Blandine s’approcha d’eux avec une cruche (139) qu’elle inclina. Elle versa de son contenu dans le gobelet des nouveaux mariés. Alléché par sa riche teinte dorée, Louis s’empressa d’y goûter. Il claqua la langue en signe d’appréciation. Son voisin Friquet de Fricamp lui fit un clin d’œil et dit :
— Une autre petite surprise que je vous réservais, maître : quelques futailles de cet excellent petit vin de rivière*, un breuvage divin produit par des hommes de Dieu. On m’a dit que vous aviez un faible pour celui d’Épernay, est-ce exact ?
— Oui. Merci.
— Ainsi, on m’a bien renseigné. À propos, saviez-vous que Jeanne – pas la vôtre, mais bien l’épouse de Charles le Mauvais – s’est établie ici, en Normandie, à Évreux plus exactement, et a donné le jour à un garçon il y a tout juste un mois (140) ?
— Non, je l’ignorais.
Le père Lionel, qui s’était discrètement éclipsé à l’intérieur le temps d’y prendre un paquet ficelé avec soin, s’approcha de la table d’honneur et dit à Friquet :
— Permettez, monseigneur, que je vous emprunte un court instant l’attention de nos mariés.
— Mais bien sûr, cher père. Joignez-vous donc à nos bavardages. Partageons en vrais amis ce nectar et les idées qu’il ne manquera pas de nous sortir de la tête.
— Grand merci.
Le moine prit place à côté de Jehanne, à qui il remit son paquet.
— Pour vous deux, de la part de mon ami Flamel, qui m’a dit regretter de ne pouvoir être des nôtres aujourd’hui. Hélas, il ne pouvait se permettre d’effectuer ce voyage.
— Oh ! mais c’est très aimable à lui d’y avoir pensé, dit Jehanne en posant le paquet entre Louis et elle-même pour le déballer.
C’était un livre splendide, abondamment illustré, qui faisait l’éloge des premiers Valois jusqu’à Jean le Bon. Il n’y était pas fait mention de Charles V en tant que roi, son avènement étant encore trop récent. Louis tira l’ouvrage à lui et en tourna les pages afin de regarder les images. On y voyait quantité de scènes relatives à la peste, aux combats et aux pourparlers entre mitrés et couronnés. Il trouva même une scène d’exécution qu’il examina avec minutie. Il le remit à Jehanne et commenta :
— On dirait que, dans les livres, tout a une allure moins ingrate. Même les bourreaux.
Lionel rit et répondit :
— Peut-être est-ce parce que les images sont trop belles ? En tout cas, je puis vous certifier que les mots qui les accompagnent, eux, ne le sont pas toujours.
— C’est un très beau livre, dit Jehanne. J’ai hâte de le lire.
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