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Le mariage de la licorne

Le mariage de la licorne

Titel: Le mariage de la licorne Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Marie Bourassa
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même si je n’ai guère eu l’occasion de l’être.
    — C’est moi que vous teniez à l’écart.
    — Oh, Louis, ne m’en veuillez pas. Il le fallait. J’avais vraiment besoin de réfléchir. À votre sujet, justement.
    Louis ne dit rien. Elle le regarda un moment avant de poursuivre.
    — Dites-moi très franchement : vous abhorrez Sam, n’est-ce pas ? Il regarda ailleurs. Lui qui croyait ne plus jamais haïr quelqu’un autant qu’il avait haï Firmin se vit soudain confronté à ce qu’il éprouvait réellement envers le jeune Écossais.
    — J’ai essayé de ne pas en venir là, dit-il.
    — Est-ce à cause de moi ?
    — Oui.
    Louis sut immédiatement qu’elle avait tout saisi, même ce que sa réponse n’exprimait pas.
    — Pourquoi ne m’avez-vous rien dit ?
    — J’attendais.
    Elle sourit en se demandant quelle sorte d’aveu un homme comme Louis allait bien pouvoir lui faire. Il n’avait rien du soupirant transi. La jeune femme n’eut pas à attendre longtemps pour avoir sa réponse. Maladroit, il lui prit la nuque et l’attira contre lui. Elle s’en émut et songea : « Il a attendu pour moi, je serai bien capable d’attendre pour lui. » Elle murmura :
    — Si Sam s’en va, c’est pour vous laisser la place. J’aurais dû le savoir depuis longtemps, que c’était vous.
    Depuis ses sept ans, Louis avait été pour elle un ami. Leur différence d’âge avait fait en sorte qu’il n’avait pu en être autrement. Elle demanda :
    — Avez-vous déjà remarqué combien les chiffres peuvent être étranges, parfois ?
    — Que voulez-vous dire ?
    — Lorsque j’avais sept ans et vous vingt-six, j’étais encore une enfant alors que vous étiez déjà un homme. À présent, j’ai quatorze ans et vous trente-trois. Nous avons toujours dix-neuf ans de différence et pourtant nous sommes tous les deux adultes. La différence entre nous n’est plus aussi grande.
    — C’est vrai.
    — J’essaie de me faire à l’idée que vous êtes pour moi bien davantage qu’un ami. Cela me fait tout drôle en dedans. C’est à la fois nouveau et évident. En tout cas, c’est étourdissant.

Chapitre XII
La licorne et la manticore
    Aspremont, 23 mai 1366
    Ils se tenaient debout tous les deux en face de l’autel. La jeune femme portait une robe rouge neuve (137) , dont un drapé soulevé avait pour but de créer l’illusion d’un ventre arrondi, gage de féminité et de beauté dont la nature ne pouvait avoir pourvu encore sa silhouette gracile. Elle était coiffée d’un fronteau d’orfroi orné des derniers muguets entremêlés avec un fin ruban de cartisane* et une petite parure en nacre qui retenait un voile léger sur ses cheveux demeurés libres. Le collier de Louis, tout simple, contrastait de façon étrange avec cette tenue. Le métayer était vêtu de l’un de ses austères habits noirs, son meilleur, dont la digne sobriété convenait assez bien à la solennité de l’instant. Seule sa dague pendait à sa ceinture. Jehanne et lui étaient à jeun comme l’exigeait la coutume.
    En cette fin d’avant-midi, la petite église était bondée, saupoudrée par l’or fin de nombreux lampions. Il y avait même du monde à l’extérieur, pour la plupart des curieux venus de Caen pour assister au mariage de leur bourreau.
    Le couple s’agenouilla devant le père Lionel à qui fut remis l’écusson en soie rouge plié. Tout en officiant, il surveillait l’expression de leurs visages. Curieusement, il trouva un peu de réconfort sur celui de Louis, dont la sévérité naturelle était demeurée imperturbable.
    Jehanne ne put s’empêcher de jeter un regard derrière elle. Elle ne vit pas de cheveux roux dans l’assemblée. Le célébrant déplia l’étoffe rouge et dit :
    — Que le Créateur et le conservateur du genre humain, que le Donneur de la grâce et de l’éternel salut fasse descendre Sa bénédiction sur cet objet, au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit. Ainsi soit-il.
    Il invita le couple à se lever et attendit, l’écusson dans les mains. Louis prit la main glacée et tremblante de Jehanne et la souleva. À ce moment, les portes de l’église claquèrent. Tout le monde se retourna, mais seule Jehanne remarqua la tête rousse qui venait d’aller se perdre dans l’assistance. Lionel demanda :
    — Quelqu’un aurait-il l’amabilité de rouvrir ces portes, je vous prie ?
    Presque toute l’assemblée se tordit le cou pour jeter un

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