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Le mariage de la licorne

Le mariage de la licorne

Titel: Le mariage de la licorne Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Marie Bourassa
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coup d’œil vers le fond de la nef. L’obligation de tenir les portes de l’église ouvertes pendant la cérémonie était l’un des détails fondamentaux du rituel ; en effet, l’importance de l’échange public des consentements était si primordiale que la non-observance de ce seul détail pouvait conduire à l’annulation du mariage. Une femme distinguée se hâta d’aller rouvrir les battants. Inquiet, Louis reconnut Desdémone. Elle avait revêtu pour l’occasion une robe simple et de bon goût. À la voir, nul ne pouvait deviner ce qu’elle était, ou plutôt ce qu’elle avait été. Il ne semblait plus y avoir sur sa personne aucune trace de déchéance.
    — Grand merci, lui dit l’aumônier.
    Il enveloppa les deux mains du couple dans le tissu et dit à Louis :
    — Répétez après moi : « Moi, Louis Ruest, je vous prends, Jehanne d’Augignac, en tant qu’épouse. »
    Louis se tourna vers Jehanne, baissa les yeux sur elle et répéta les mots. Lionel continua à lui dicter ce qu’il fallait dire.
    — Je promets de vous demeurer fidèle, de vous honorer et de vous protéger à tout jamais, dans la foi de Dieu.
    Jehanne cligna des yeux. Elle se sentit tout à coup émerger d’un brouillard opaque.
    — Ruest ? demanda-t-elle faiblement.
    — C’est mon vrai nom, dit-il tout bas.
    Il avait oublié de le lui dire. Elle n’eut que davantage l’impression qu’elle s’apprêtait à lier son destin à celui d’un étranger, ce qu’il était en quelque sorte, malgré le fait qu’ils habitaient ensemble depuis des années. Elle baissa les yeux sur l’étoffe sous laquelle une main déjà dominatrice tenait fermement la sienne. Qui était-il donc, ce « Louis du ruisseau » qu’elle aimait sans le connaître ? Existait-il réellement, ou n’avait-elle appris à aimer que l’image de l’homme derrière lequel « Louis qui donne la hache » s’était dissimulé ? Et si elle faisait erreur ?
    Son regard se porta vers le bon visage du père Lionel. Lui, il ne pouvait s’être trompé. Il connaissait très bien les hommes. Elle se souvint des rares échanges qu’elle avait pu avoir avec Louis. Elle revit comment il avait su se montrer doux, aimable, prévenant même, en dépit d’une exquise maladresse. Non, elle avait bien un peu peur, mais cette peur ne surpassait en rien l’affection qu’elle éprouvait pour ce géant redoutable à côté de qui elle avait encore l’air d’une enfant. Il lui fallait seulement faire preuve de discernement et oublier le bourreau, Baillehache, pour n’épouser que l’homme, Louis Ruest. Elle inspira profondément et répéta après le moine, avec ferveur, de sa jolie voix claire :
    — Moi, Jehanne d’Augignac, je vous prends, Louis Ruest, en tant qu’époux. Je promets de vous demeurer fidèle, de vous obéir et de veiller sur vous à tout jamais, dans la foi de Dieu (138) .
    Lionel s’avança et leva la main droite. Le couple baissa respectueusement la tête tandis que le célébrant récitait :
    — Seigneur Dieu, c’est sous Votre regard très bon et très miséricordieux que s’accomplit au sein de l’Église l’union matrimoniale de deux de Vos enfants. Là où mon nom de père ne sert à rien, puisse le Vôtre veiller sur eux.
    Il traça un signe de croix devant eux, en disant :
    — Soyez désormais unis par les liens sacrés du mariage. Au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit. Ainsi soit-il.
    Et il recula, offrant à Louis un air amusé.
    — Eh bien, cher maître, qu’attendez-vous pour achever de sceller vos épousailles ?
    Des rires étonnés s’élevèrent de l’assemblée. Jehanne aussi eut un petit rire nerveux. De sa main libre, Louis dénoua l’écharpe et la mit à son bras. Il souleva le voile délicat dont le tulle s’accrocha à la peau rude de ses doigts. Il prit la jeune femme par les épaules, serrant inutilement sans s’en rendre compte, et se pencha pour lui poser sur les lèvres un baiser furtif. Jehanne frissonna. Ce visage si près du sien, ces yeux fixes… Il la relâcha et ils se rassirent. La célébration se poursuivit, mais Jehanne n’en saisit pas un mot. Elle jetait à Louis de fréquents coups d’œil en songeant : « Mon mari. Il est mon mari. Quelle impression étrange. Tout vient de changer ; pourtant, il demeure le même homme, et moi, je demeure la même femme. Ou alors, nous avons complètement changé tous les deux et nous ne nous en sommes pas encore

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