Le mariage de la licorne
aperçus. »
Un gamin joyeux, petit frère de l’un de ceux qui avaient joué avec Jehanne enfant, sonna la cloche à toute volée. Jehanne glissa une main timide au bras de Louis et ils remontèrent l’unique allée jusqu’aux portes où les attendait une pluie de pétales printaniers.
— Vive les mariés ! criait-on de toutes parts.
Louis s’arrêta en haut des marches pour saluer les gens d’un bref signe de la main, marmonnant quelques mercis que seuls ses voisins immédiats durent entendre. Les gens se mirent à se bousculer autour d’eux pour leur offrir leurs félicitations. Parmi eux, beaucoup de citadins qui osaient s’approcher pour la première fois du bourreau. On eût dit que le mariage le rendait soudain moins effrayant, plus accessible. Quelques-uns lui serrèrent la main, mais la plupart se contentèrent de le féliciter verbalement de loin ou de lui donner une petite tape sur le bras. Par contre, tout le monde baisait la main de Jehanne ou serrait la douce créature dans leurs bras avec enthousiasme. Louis avait remarqué que Sam, un flacon à la main, avait fait la queue quatre fois de suite pour embrasser Jehanne sous l’hilarité de ses voisins qui le laissaient volontiers passer. Il décida de ne pas en faire de cas. Après tout, il fallait bien laisser les gens s’amuser un peu. Entre deux accolades, le feu aux joues, Jehanne se laissait pousser mollement contre Louis par des mains taquines.
Le père Lionel se faufila derrière le géant et lui fit faire volte-face pour le coincer dans une puissante étreinte. Louis en fut si stupéfait qu’il se débattit un peu.
— Hum… mille excuses, je me suis un peu emporté. Toutes mes félicitations !
Sous un tonnerre de rires, il lui serra la main d’une façon très guindée, piqua le flacon de Sam pour en boire un coup et le lui remit avant d’aller étreindre Jehanne.
Le gouverneur Friquet de Fricamp porta la main à sa tonsure avant de tendre la main à son officier de justice et d’embrasser celle de Jehanne. Il dit :
— Tous mes vœux de bonheur, à tous les deux.
— Merci, dit Louis.
— J’ai pris la liberté de faire apporter à votre domaine, et ce, à votre insu bien sûr, quelques charretées de victuailles qui sauront contribuer à votre petite fête. Je vous saurais gré de bien vouloir les accepter en tant que cadeau personnel aux nouveaux mariés.
— Oh. Monseigneur, c’est bien trop de bonté, dit Jehanne.
— Il m’en coûte si peu, chère dame, pour avoir l’immense privilège d’assister à vos premiers instants de bonheur.
— On reconnaît bien là un homme de Cour, dit Louis. De Fricamp ricana et dit :
— Maître Baillehache, auriez-vous l’obligeance de mettre votre voix de stentor au service de la bringue qui nous attend ?
Le bourreau fit un signe d’assentiment. Il éleva la main.
— Oyez, oyez !
Il attendit qu’un peu de silence s’installe et annonça :
— Nous vous attendons au domaine. Il y a de quoi festoyer pour tout le monde.
Ces paroles furent accueillies avec force acclamations. Des chaperons volèrent en l’air et se perdirent parmi des têtes qui n’étaient pas forcément les leurs.
On avait dressé et disposé en fer à cheval trois longues tables derrière la maison, dans un pré bordé d’arbres. La chaise à haut dossier de Louis était au centre de la table d’honneur. On avait déniché un second siège confortable à l’intention de l’épousée. À la droite et à la gauche de ces chaises munies de coussins étaient installés deux longs bancs. Des bancs semblables avaient été poussés devant les deux autres tables. La journée était splendide. Des quartiers de viande rôtissaient au-dessus du feu depuis plusieurs heures. D’autres marmites contenaient divers potages ou des sauces. Du pain bis attendait sur les tables avec des carafons de vin de Beaulne. Quelqu’un roula un vauplate* de bière jusqu’à l’aire qu’entouraient les tables.
La charrette décorée qui ramenait les jeunes mariés fut saluée par de nombreux invités qui se trouvaient déjà là et avaient offert leur aide aux serviteurs.
Le père Lionel, le bas de sa coule rendu poussiéreux par la promenade qui avait suivi la cérémonie, papillonnait d’un invité à l’autre. Il entraînait une dame d’allure très distinguée.
— Venez, venez et mettez-vous à l’aise, lui dit-il. Ce clan bavard que vous voyez là constitue l’abondante parentèle
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