Le mariage de la licorne
racines de galanga et du sel. Elle avait ajouté les oisons dès les premiers bouillons de ce mélange, les avait laissés cuire dix minutes et les avait égouttés. Après quoi Blandine et elle les avaient encore salés et poivrés pour finalement les envelopper chacun dans deux feuilles de laurier et les cuire au four à pain qui avait été entretenu au chêne vert, le meilleur combustible qui fût. Louis avait dit raffoler des cailles cuites de cette façon et, à défaut de cailles, les oisons pouvaient aussi bien faire l’affaire.
— Bon, la fromentée*, maintenant, dit Margot en redoublant d’ardeur.
Elle s’affairait avec excitation aussi bien à la cuisine que dehors. Se sentant vaguement coupable, elle alla puiser dans la précieuse réserve de froment qui était la chasse gardée de Louis. À du lait, elle mélangea une abondance de jaunes d’œufs, du gingembre râpé, une pointe de safran, du sel et du poivre. Le tout fut mélangé et, le résultat s’avérant trop liquide, il fut passé dans un linge. Elle enduisit des moules de beurre, y dosa le froment, versa par-dessus la préparation en y ajoutant d’autres œufs battus. Une fois cuite au feu doux du four, cette fromentée* allait disparaître aussi promptement que le bouilleux*.
La chapelle du four ressemblait à la gueule béante d’un ogre vorace, jamais rassasié ; en plus des moules de fromentée* et des oisons, Margot accommoda une généreuse frigousse* de sanglier au cidre à laquelle les deux cuisinières avaient travaillé dès le début des préparatifs. C’était grâce à Louis et à Toinot qu’ils pouvaient en manger, car ils étaient allés à la chasse l’avant-veille. Ce sanglier était donc une surprise inattendue. Personne n’avait eu besoin de savoir que la grosse femelle avait surgi de nulle part et chargé Louis, qu’elle l’avait renversé, et qu’il ne devait la vie qu’à sa dague. Toinot et lui avaient mangé ses marcassins sur place pour éviter de chagriner Jehanne.
Margot avait commencé par faire saisir des tranches prises dans la fesse dans une marmite et les avait vite retirées du feu. Elle avait doré des amandes dans le beurre, y avait ajouté de l’oignon, de l’ail, du sel, du poivre, et des herbes de Provence. Après avoir déglacé la marmite au cidre, elle avait attendu et fait une demi-glace avec du fond de veau. Après un moment, les tranches étaient retournées dans la marmite avec le reste du jus de cuisson. À présent, le four embaumait.
— On aurait pu laisser la frigousse* mijoter dans l’âtre, mais c’est meilleur ainsi, expliqua la gouvernante à sa fille, qui s’occupait à filtrer l’hypocras*. De toute façon, le four chauffait déjà.
Friquet de Fricamp n’avait pas lésiné : il leur avait ramené du luxueux sucre de Chypre, des amandes, des figues et des raisins secs. Blandine se régala d’avance tout au long de la préparation d’un taillis de fruits secs. Elle mit à chauffer du lait d’amandes et y ajouta le sucre de canne avec des miettes de pain sec. Elle laissa ce mélange cuire pour lui permettre d’épaissir. Pendant ce temps, elle épépina et enleva avec soin, un par un, chacun des raisins secs de leurs grappes pour ensuite les recueillir dans un bol dont elle alla verser le contenu avec les figues coupées grossièrement dans la petite marmite. Elle laissa cuire à feu très doux et versa le précieux mélange dans des terrines pour le mettre à refroidir afin qu’il pût être tranché.
On fit honneur à chacun de ces plats. Le festin dura tout l’après-midi. Lorsque le soleil couchant, en hommage aux nouveaux mariés, se mit à répandre des fresques magnifiques, les muses s’éveillèrent en même temps que la brise parfumée du crépuscule. Les écuelles vides furent dédaignées au profit des gobelets de vins capiteux qui, eux, ne tarissaient pas, et les esprits s’échauffaient alors que le fond de l’air fraîchissait. Des instruments de musique se mirent à jouer des fragments de mélodies. Parmi les conversations de plus en plus animées, ils soliloquaient et semblaient se plaire dans leurs propos. Les ménestrels qui, jusque-là, étaient répartis au hasard parmi les invités se rassemblèrent avec vièles*, psaltérions*, saqueboutes* expérimentales, rebecs*, flûtes, chalémies*, tambourins et tout le reste parmi les feux de braises et les broches carbonisées, dans l’aire vacante qu’entouraient les tables. Quelqu’un
Weitere Kostenlose Bücher