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Le mariage de la licorne

Le mariage de la licorne

Titel: Le mariage de la licorne Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Marie Bourassa
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vrillèrent ceux du bourreau.
    — Votre pire ennemi : votre pensée, dit-il.
    Son bras redescendit, lentement, mais son regard tint bon. Louis comprit et releva le défi. Blandine fut seule témoin de ce duel. Elle avait oublié ses légumes qui attendaient encore d’être apprêtés. Lionel lui parut soudain plus grand, plus impressionnant. Louis cligna des yeux et finalement abaissa son regard. Il ressortit en claquant la porte.
    Le moine se laissa tomber mollement sur un tabouret et Blandine lui servit un peu de bouillon.
    — Il fallait bien que je trouve le courage de le faire pour Samuel, dit-il à la servante. Il en allait de sa vie.
    — Miséricorde, il existe donc quelqu’un d’assez solide pour le mater.
    — Encore faut-il en trouver la force. Je me demande d’où j’ai bien pu obtenir celle-là.
    Dehors, une nouvelle musique s’éleva subitement par-dessus le refrain qui commençait à manifester des signes d’essoufflement. La voix de celui qui chantait était pure, flexible. On l’eût dite extraite du vent lui-même. Tout le monde en resta un instant interdit avant de se rendre compte que c’était Louis qui chantait et non le firmament. Il avait grimpé sur la table, son gobelet à la main. Ses pieds froissaient la longière* délaissée.
    « Venez, ma belle, parmi les fleurs
    Venez, ma licorne, prendre mon cœur
    Dans mon beau jardin, je me languis
    J’attends mon âme, et me flétris. »
    Les instruments de musique se bousculèrent un peu avant de parvenir à prendre leur place dans le brusque changement de mélodie. Sam, lui, posait un regard incrédule sur cette incroyable apparition. Le Faucheur savait chanter. Et cette voix, Dieu du ciel, cette voix… Elle ne pouvait lui appartenir. Pas à lui. Il l’avait volée à une victime. C’était un pur sacrilège. Et Louis continuait à chanter en regardant Jehanne.
    « Pourquoi, ma belle, me fuyez-vous ?
    Votre beauté m’a mis à genoux
    Je prie, licorne, avec ardeur
    J’ai grand désir de votre blancheur. »
    Le père Lionel s’était furtivement rapproché du feu. Il écoutait, tête inclinée, l’air recueilli. C’était beaucoup plus qu’il n’avait osé espérer. C’en était presque effrayant. Il était impensable que l’ivresse fût seule en cause, car Louis ne laissait jamais rien grignoter ses inhibitions. Et pourtant… « De tous les chants, pourquoi celui-ci ? A-t-il seulement conscience de ce qu’il est en train d’avouer ? » songea-t-il.
    Il regarda Sam. « La voilà, ta revanche, mon garçon. Ne cherche plus. Ta haine ne te sert à rien. Si tu tiens absolument à torturer un tortionnaire, fais-le avec de l’amour et vois toi-même le résultat. »
    Le moine leva les yeux sur le bourreau et essaya d’examiner ses traits sans se faire voir. Et ce qu’il y vit ressemblait à un appel à l’aide. Il soupira profondément. « Seigneur, c’est bien ça. Il le sait. Et il l’accepte. Pour la première fois, Baillehache nous permet de voir Louis. » Il jeta un coup d’œil à Jehanne. La jeune femme, les yeux brillants d’émotion, s’éloignait des ménestrels et se rapprochait imperceptiblement de la table sur laquelle Louis était perché. Lionel se dit : « Douce Adélie. N’es-tu pas contente ? Moi, je le suis. Elle saura réussir là où j’ai échoué, j’en suis sûr. »
    « Vous, pure et belle, mais moi si vil
    Pourrai-je espérer, été fragile
    Que vous me voudrez, que vous m’aimerez ?
    La peur me glace, s’en vient janvier. »
    Une voix de ténor s’était jointe à celle du baryton. Louis vacilla et en chercha l’origine. Sans arrêter de chanter, il vit que c’était Lionel et éleva son gobelet.
    « Voyez, licorne, ma jolie femme
    Voyez donc comment brûle ma flamme
    À vous, lumière, mon mois de mai
    J’offre mon souffle à tout jamais. »
    Dans toute cette spontanéité, les deux hommes chantaient avec un accord parfait. Sam lui-même avait déniché quelque part un tambourin qui communiquait à la mélodie lancinante un rythme furieux, pressant. Jehanne en était le réceptacle avide et Louis, l’émetteur, un émetteur si puissant qu’il avait même réussi à entraîner son rival dans une sorte de transe. C’était devenu entre les trois hommes un moment de communion absolue que seule la musique avait pu rendre possible. Les invités écoutaient ce chant avec dévotion, comme s’ils avaient intuitivement conscience de la grande valeur d’un aveu

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