Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
Le mariage de la licorne

Le mariage de la licorne

Titel: Le mariage de la licorne Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Marie Bourassa
Vom Netzwerk:
n’allait accepter de manger avec lui. Il ne vit d’ailleurs aucune raison de s’y opposer.
    L’évêque scruta ses voisins immédiats dans l’espoir d’avoir à remettre un gourmand à l’ordre. Mais les convives le connaissaient et s’abstinrent de toucher au breuvage avant le bénédicité. Il fut déçu de voir que Louis n’y touchait pas non plus et qu’il avait pieusement baissé la tête. Après un signe de croix et une prière ânonnée que personne n’entendit, l’ecclésiastique tendit sa main potelée vers le gobelet qu’il partageait avec son autre voisin, un seigneur normand.
    Un serviteur posa devant le roi une pâtisserie dont il découpa un morceau pour l’offrir au crédencier, qui y goûta devant lui. D’autres tartes identiques furent immédiatement apportées et coupées en parts égales. Louis constata qu’il s’agissait de tartes cuites au four dont la pâte brisée et blanchie dévoilait une appétissante mixture composée de raisins et d’abricots secs gonflés à l’eau, mélangés à du lait, des œufs et de la crème ; le tout était piqueté de muscade et de cannelle. Les abricots étant froids et humides, ils devaient être dégustés en début de repas et être bien arrosés afin d’être convenablement assimilés par l’organisme. La tarte fut accompagnée d’une omelette frite faite de jaunes d’œufs et de cristaux de sucre fondu dans la poêle avec un peu de jus de citron.
    Pendant ce temps, Charles de Navarre s’était vu contraint de délaisser ses hôtes pour s’entretenir à voix basse avec la belle Isabeau.
    — Mais qu’est-ce qui vous a pris, Charles, d’inviter ici ce gros corbeau ? Le bourrel* de Caen. C’est bien celui qui se trouvait à Rouen avec la suite de Friquet de Fricamp, n’est-ce pas ?
    — Si, c’est le même, dit le Navarrais d’une voix ennuyée.
    Il tournait son gobelet dans sa main. Isabeau se pencha davantage. Sa gorge sèche faisait siffler ses chuchotements nerveux.
    — Seigneur Dieu ! Vous rendez-vous compte que c’est lui qui a exécuté mon pauvre Jean ?
    — Je sais cela, m’amie.
    — On dit qu’il est Beelzeboul* incarné, qu’il n’y a au monde aucun être aussi dénué de sentiments humains, et vous m’obligez à recevoir ce monstre chez moi ?
    — Ce ne sont là que des fables, vous le savez bien.
    — Des fables ! Et mon mari, qu’en faites-vous ?
    — Calmez-vous, ma chère. On nous observe.
    En effet, si l’objectif de la dame avait été de capter l’attention d’un auditoire déjà très réceptif au potinage, elle était arrivée à ses fins : plusieurs têtes avaient délaissé les mondanités pour se tourner vers elle et le roi. Ce dernier murmura :
    — Le moment n’est guère propice à une telle discussion.
    — En tant que veuve de Jean d’Harcourt et hôtesse de ce festin, j’estime que c’est à moi d’en juger.
    Charles soupira.
    — Très bien, alors. Sachez que j’ai de plein gré provoqué cette extrême proximité des convives avec lui. Mon désir est qu’il puise aux mêmes plats que nous et que nous entretenions avec lui un minimum de sociabilité.
    — Mais…
    — Écoutez. J’ai mes propres raisons d’agir ainsi, m’amie. Ne m’en tenez pas rigueur. Je vous prierais seulement de bien vouloir vous conformer à ma requête.
    Isabeau d’Harcourt se tut subitement, mais ce ne fut ni à cause des visages qui s’étaient penchés au-dessus de la table pour tenter de saisir ses propos ni à cause des paroles impératives de Charles. Louis s’était lui aussi penché et il la regardait droit dans les yeux. Sa gorge se serra et un frisson lui descendit le long du dos. Charles dit :
    — Il nous a fait le coup tout à l’heure en salle du conseil. L’effet qu’il arrive à produire d’un simple regard est stupéfiant. Il faudra que je me souvienne de lui demander comment il fait.
    — Surtout pas. Oh, Charles, il est abominable.
    Louis se détourna. Penché au-dessus de son plat, il se fourra goulûment un gros morceau d’omelette dans la bouche. Mais, curieusement, il fit cela non sans quelque élégance, entre deux doigts en pince. Il ne paraissait pas remarquer que tout le monde autour de lui mangeait du bout des lèvres, de façon excessivement posée.
    — Oh, quel rustre, fit Isabeau. Charles rit.
    — Il a, ma foi, un fort bel appétit.
    — Dites plutôt que c’est un vrai glouton.
    Le roi remarqua que le voisin de Louis était lui

Weitere Kostenlose Bücher