Le mariage de la licorne
tituba jusqu’à l’entrée de la salle.
Une jeune fille vint s’écraser le nez contre sa poitrine.
— Oh ! pardon, fit-elle, rougissante.
Elle devait avoir treize ans. Par-dessus l’épaule de l’adolescente, Louis aperçut deux autres jeunes filles qui chuchotaient entre elles avec animation en échangeant de petits rires nerveux. Une gageure, sans doute.
— Je vous en prie, dit-il en s’inclinant poliment, et il s’écarta pour lui livrer le passage. Mais, au lieu de passer, l’adolescente croisa les mains devant elle et lui demanda timidement :
— Vous… vous ne restez pas pour la danse ?
Louis fit un bref signe de dénégation, légèrement contrarié de n’avoir pu quitter le tinel* sans être remarqué. Ses réflexes étaient trop ralentis par l’effet abrutissant des vins capiteux et de la nourriture copieuse. Il répondit :
— Non. Je n’y connais rien. Si vous voulez bien m’excuser…
— Eh bien, dites donc, vous ne perdez pas de temps, l’ami, dit une voix dégoulinante de mépris.
Louis se retourna. C’était un jeune gentilhomme au maintien excessivement roide. Il dit encore :
— C’est ma promise que vous courtisez là.
— Courtiser ? Moi ?
— Si, vous la courtisiez. Vous n’avez tous deux cessé de vous dévisager tout au long du repas. Ne me faites pas l’affront de contredire ce qui fut évident pour tous.
La jeune fille recula, enchantée du tour inattendu que prenait son audacieuse intervention. Le jeune homme dit :
— Enfin, brisons là. Moi, Philippe d’Asnières (17) , je ne vais tout de même pas m’abaisser à me quereller avec le roi des mouches.
Le nobliau avait un exaspérant sourire en coin. Il tendit sa main ornée d’une grosse bague, s’attendant à voir Louis mettre un genou en terre et la prendre humblement en faisant ses excuses. Au lieu de quoi le bourreau regarda la main tendue, hésitant, avant de la serrer avec insistance sans quitter son interlocuteur des yeux. Le sourire de Philippe d’Asnières se figea. La bague lui labourait les doigts. Le sourire en coin déménagea sur le visage de Louis.
— Maraud. Ça, vous me le paierez, mais alors vous me le paierez très cher, souffla le jeune homme lorsqu’il put enfin récupérer sa main endolorie.
— Maître Baillehache, appela la voix forte d’une femme. Isabeau d’Harcourt s’avançait, un sourire contraint aux lèvres, sa robe à longue traîne caressant doucement les dalles du plancher. Elle s’arrêta devant Louis et dit à l’adolescente :
— Damoiselle, permettez que je me charge de conduire personnellement mon hôte à sa chambre. Il doit être bien las pour avoir envie de nous fausser compagnie de si bonne heure. Allez donc rejoindre messire votre frère. Vous voyez bien qu’il se fait du souci pour vous.
— La garce ! souffla l’une des deux adolescentes qui étaient restées en retrait.
La mine boudeuse, elles laissèrent l’hôtesse escorter hors de la salle un bourreau ébahi. Le roi n’avait rien vu. Après un clin d’œil au nobliau, Isabeau glissa doucement sous l’avant-bras du géant sa main gantée de filoselle. Il se déroba, gêné que quiconque tentât volontairement de le toucher.
Vu d’aussi près, elle le trouvait encore plus intimidant avec cette façon qu’il avait d’abaisser son regard sur ses interlocuteurs. C’était pareil à un effleurement sur sa peau. La dame fut incapable de le regarder dans les yeux et frissonna encore à l’idée que ce même visage, avec ce même regard, eût pu être penché au-dessus de son corps lié à un chevalet* de torture. Il dit :
— Ce n’est pas la peine de vous déranger, dame.
— Si ! si ! j’y tiens, mon cher.
Au moins, il s’efforçait d’être poli. Il insista :
— Trop aimable. Mais un serviteur peut m’indiquer le chemin.
— Pas en ce moment. Ils se dévouent à préparer la salle pour la suite des festivités.
Isabeau lui reprit le bras et l’invita à traverser un long couloir désert. Il trouva qu’elle le frôlait d’un peu trop près, mais évita de réagir d’une façon qui pouvait être mal perçue. Que l’hôtesse délaissât tous ses invités de marque pour lui consacrer un peu d’attention avait quelque chose de préoccupant. Elle parut comprendre ce à quoi il pensait, car elle rit doucement :
— Pour dire vrai, je ne raffole pas de la danse.
Voilà qui éclaircissait les choses : il servait de prétexte. Eh bien,
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