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Le mariage de la licorne

Le mariage de la licorne

Titel: Le mariage de la licorne Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Marie Bourassa
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garde-manger de l’abbaye. Dans un coin, un grand couteau était posé sur le billot à découper les viandes et les volailles. L’entretien du feu, allumé au briquet (15) , était dévolu aux soins d’un garçon qui devait le surveiller toute la journée et qui ne devait cesser de tourner les broches à viande tout en se protégeant le visage, de sa main libre, à l’aide d’un pare-feu simplement constitué d’un disque en osier équipé d’un manche. Un ustensile semblable, tout en bois, était posé sur une table non loin de là. Le garçon était aussi chargé de remuer les appétissants jus de viande qui coulaient dans des lèchefrites où nageaient des rondelles d’oignons. Il en arrosait les viandes à intervalles réguliers. Des chaudrons fumaient, posés sur une sole de pierre, sur des trépieds ou pendus à la crémaillère. Dans un coin, un second gamin jetait une brassée d’écuelles en bois souillées dans un cuvier plein d’eau chaude. Un troisième enfant se dévouait à astiquer tous les pots de métal au sable jusqu’à ce qu’ils étincellent.
    — Nous ne serons jamais prêts à temps, disait le gros chef cuisinier qui tournait en rond et fulminait tout en supervisant le travail de ses jeunes assistants.
    Il paraissait être à la recherche de quelque chose qu’il ne trouvait pas. Sans doute des minutes supplémentaires…
    — Bon, et où est passée ma pierre à aiguiser les couteaux ?
    — Par ici, dit un quatrième garçon qui entra dans la cuisine et bouscula presque le grand visiteur silencieux.
    Le cuisinier aperçut Louis et, les mains sur les hanches, demanda d’une voix de stentor :
    — Qu’est-ce que vous foutissez* là, vous ?
    Son visage ruisselait. Ses assistants et lui-même n’avaient qu’un aperçu du grand tinel* à travers l’étroite fenêtre du passe-plat. Presque tout le monde s’était déjà mis à table, et l’activité frénétique des cuisines était vouée à une multitude de petits préparatifs de dernière minute.
    Louis demeurait pétrifié sur le seuil. Les cuisiniers avaient tous cessé de travailler pour le dévisager. Il s’éclaircit la gorge et dit :
    — Je croyais que c’était ici que je devais manger.
    — Quoi ? Mais c’est hors de question. Je ne veux pas de vous ici.
    — Très bien. Donnez-moi de quoi manger et j’irai me trouver un coin quelque part.
    Le chef n’eut pas le temps de répliquer. Quelqu’un manifesta sa présence derrière le bourreau avec un hum ! hum ! dédaigneux. C’était un majordome en livrée multicolore.
    — Vous vous faites attendre, maître.
    — Plaît-il ? demanda Louis, confus.
    — Veuillez m’accompagner, je vous prie. Le banquet est sur le point de commencer.
    Dans la grande salle, on avait disposé trois tables en fer à cheval. Celle du centre, qui reliait les deux branches du « U », était légèrement surélevée par une tribune. Il s’agissait de la table d’honneur. Des gens richement vêtus y avaient déjà pris place et bavardaient tout bas. Le petit roi de Navarre, exubérant et tenant à la main un gobelet, pérorait pour ses nobles voisins de table assis de chaque côté de lui. Il était apparemment enchanté des charmants sourires de sa voisine, une dame d’âge mûr qui avait l’air d’être leur hôtesse. Tout au bout de la table commune, une place encore inoccupée avait été marquée par un napperon brodé. C’était une tradition très ancienne, et tout le monde avait déjà deviné que Charles tenait ainsi à honorer tout particulièrement un étranger.
    Louis ne comprenait plus rien. Que l’on envoyât un serviteur exprès pour le quérir était pour le moins inattendu. Il ne fut pourtant pas au bout de ses surprises. Le majordome le conduisit directement à la table d’honneur et lui désigna cette place décorée du napperon. Louis n’en croyait pas ses yeux : être invité à un banquet offert par un puissant était un honneur en soi. Mais prendre place à sa table et partager sa nappe témoignaient d’une intimité qui était inexistante. Plusieurs têtes se tournèrent dans la direction de l’homme en noir tandis qu’il s’approchait. On avait dû faire erreur. Louis resta planté là, incrédule, disciplinant à l’extrême son visage de pierre. Les gens qui étaient installés à proximité de la place vacante commencèrent à remuer nerveusement tandis que quelques murmures scandalisés s’élevaient dans l’air plus

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