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Le mariage de la licorne

Le mariage de la licorne

Titel: Le mariage de la licorne Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Marie Bourassa
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couronné qui jouait le rôle du roi Charles. Les convives saluèrent bruyamment l’apparition de cette allégorie. Le faux roi descendit de la pièce montée pour aller cueillir le lys doré qu’il enfourna dans la gueule du lion. Après quoi il alla soulever et abaisser sa queue comme le levier d’une pompe. Cela actionna un ingénieux mécanisme qui fit mastiquer le lion. Les vivats et les éclats de rire se répandirent dans la salle, accompagnant les acclamations de Charles qui s’était levé et titubait en brandissant joyeusement son gobelet. Isabeau d’Harcourt souriait de toutes ses dents, ravie que cette petite plaisanterie ait plu à son hôte et amant.
    Le troisième service était composé d’un bouillon léger destiné à reposer l’estomac avant de passer aux sauces et à la viande rôtie. Alors que Louis s’apprêtait à boire le sien directement du bol, il se rendit compte que l’évêque utilisait sa petite cuiller d’argent. Il fit donc de même.
    Des pièces de divers gibiers nobles étaient accommodées d’une sauce faite à partir de bouillon, de gingembre, de cannelle, de clou de girofle et de graines de paradis broyées ensemble avec un peu de muscade et une tranche de pain grillée, le tout relevé avec quelques gouttes de vinaigre de vin vieux et un peu de vin. Cette sauce dispendieuse produisait dans la gorge et le ventre une délicieuse sensation de chaleur. On avait également apporté un brouet vert d’œufs et de fromage. Des tranches de pain avaient été trempées dans du bouillon de légumes ; on y avait pilé un petit bouquet de persil ainsi que des feuilles de sauge, ce qui donnait au brouet sa belle couleur verte ; il avait été épaissi avec un fromage de brebis frais qui se complétait d’un peu de gingembre dilué dans du vin blanc ; ce brouet chaud nappait des œufs pochés servis dans des coupelles individuelles, dont le décor rapporté par-dessus, une glaçure* vitrifiée, était d’une grande splendeur. C’était encore plus beau que l’engobe* recouvrant des écuelles d’argile.
    Louis n’avait jamais pris de repas aussi sophistiqué. Il se sentait un peu plus à l’aise. Le vin vénérable lui réchauffait les veines. Il épingla brutalement un morceau de viande avec sa dague et le porta à sa bouche. Cela fit sursauter l’homme d’Église et il se demanda pourquoi, tandis qu’il rinçait de vin sa bouchée qu’il mastiquait encore. Le roi Charles, lui, s’était apparemment désintéressé du bourreau, maintenant qu’il avait produit son effet et que les gens faisaient poliment semblant de ne plus le remarquer. Isabeau d’Harcourt se détendait, elle aussi. Elle s’était mise à l’observer avec un intérêt circonspect qu’elle ne cherchait plus à lui dissimuler. Il était trop beau, un vrai sacrilège.
    Elle n’avait pas porté attention au service d’un nouveau plat : les serviteurs posaient déjà devant les convives des venaisons de faisan, de sanglier, de lièvre et de daguet. Louis plongea des doigts avides dans une fromentée* au lait et aux jaunes d’œufs constellée de gingembre râpé, d’une pointe de safran, de sel et de poivre. Il se demanda comment il put encore avaler deux pipefarces, c’est-à-dire des crêpes au fromage.
    — Cet homme est un ogre, commenta tout haut la voisine de la dame d’Harcourt.
    — Il faut l’excuser, ma chère, dit gentiment Isabeau afin que Louis pût l’entendre aussi distinctement qu’il avait dû entendre l’insulte. Je me dois de vous rappeler qu’il s’agit d’un manant. Son manque de retenue peut aussi n’être dû qu’à sa forte stature.
    Les gens ne dégustaient en général que de petites portions d’un peu de tout. La goinfrerie était perçue comme malséante. Louis rota discrètement dans son poing fermé et, au lieu de poser les mains sur la table comme il convenait de le faire, il les croisa sous la longière* pour écouter les ménestrels qui précédaient le boutehors*, le dernier service.
    Le chant terminé, on présenta des amandes mondées, bouillies avec une pointe d’eau de fleur d’oranger. Tièdes, elles furent accompagnées d’hypocras*. Comme les épices et les sucreries, elles étaient présentées sur des plats et des coupes sur pied, accompagnés de cuillers.
    Avant que la dernière amande n’eût été croquée, Isabeau avait pris sa décision. Elle se leva.
    Tandis que l’on enlevait les plateaux des tables de leurs tréteaux, Louis

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