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Le mariage de la licorne

Le mariage de la licorne

Titel: Le mariage de la licorne Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Marie Bourassa
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votre personne. J’ose espérer qu’il en va de même de votre âme ?
    — J’assiste à l’office chaque jour.
    — Voilà qui est bien. Mais ce n’est pas tout. Vous me semblez un homme soucieux. Faites-vous suffisamment confiance au Tout-Puissant pour Lui confier tous vos tourments ?
    Cette question paraissait être le cheval de bataille de l’évêque, car quelques convives retinrent leur envie de rire. Ils avaient hâte de savoir comment le bourreau taciturne allait se dépêtrer. Les sermons étaient rarement les bienvenus lorsqu’on avait le cœur à faire ripaille.
     « Tu ne nieras point », avait dit le Très-Haut au peuple de Moïse. Mais Il ne lui avait jamais rien dit, à lui qui avait tué davantage que quiconque. Des scellés invisibles avaient été apposés sur les portes de l’abbaye où il avait été incapable de retrouver le sentiment de sécurité de ses jeunes années. Peut-être était-il trop peu important pour que Dieu s’en souciât.
    Tout cela était trop compliqué à dire à l’évêque. Il répondit donc :
    — Oui.
    — On doit dire : Oui, monseigneur.
    — Pardon.
    — Il n’y a pas d’offense.
    Louis préférait ce titre à celui de mon père. L’autre voisin de l’évêque, un vieillard barbu à face blette, s’immisça brusquement dans la conversation et demanda, avec mépris :
    — Permettez. Monseigneur, comment pouvez-vous accepter de vous adresser à ce sinistre individu ?
    — Charité chrétienne oblige, répondit Louis à la place de l’évêque.
    Ce dernier eut un petit rire et dit :
    — Voilà qui n’est pas bête, mais j’estime que ma présence ici ce soir n’a rien de fortuit. Je suis à votre disposition si vous avez besoin de vous confesser.
    — Merci. Monseigneur.
    —  Artem mortiferam et deo odibilem. Un art mortel et haï de Dieu (16) . Pour pratiquer un travail aussi ingrat que le vôtre, un homme a grand besoin du secours de la foi.
    — On s’y fait.
    L’exécuteur ne satisfit pas la curiosité macabre de l’évêque et de ses deux voisins qui attendaient avec une insistance un peu trop manifeste. Il se contenta de garder le silence et d’examiner la petite cuiller d’argent posée devant lui. Il se demanda ce qu’elle faisait là. En regardant autour de lui, il put constater que chacun des convives en avait une. Peut-être allait-il pouvoir emporter la sienne après usage, puisqu’on n’allait sûrement pas se permettre de détruire un objet aussi luxueux. Il examina avec minutie un dressoir qui avait été installé bien en évidence contre le mur de la salle, devant l’aire laissée ouverte par les tables. Ce meuble de noble, destiné à la seule mise en valeur ostentatoire d’une vaisselle précieuse, était composé d’une partie basse qui fermait à clef pour servir de buffet. Quant à la partie haute, elle était constituée de quatre étagères en forme d’estrade. Ce beau meuble était recouvert d’un textile raffiné.
    L’étagère du haut était occupée par des objets assez excentriques qui ne devaient sans doute pas intervenir au cours du repas ; ils n’étaient pas destinés à un usage culinaire, mais on les avait disposés sur le dressoir afin de rehausser le prestige de l’hôtesse. On pouvait y admirer à loisir, entre autres merveilles, des flacons du Beauvaisis glaçurés* de bleu, ornés de décors rapportés et estampés.
    L’évêque soupira : la compagnie taciturne de Louis était non seulement importune, elle s’avérait aussi décevante.
    Des serviteurs entrèrent dans la salle en procession, portant plats et vaisselle avec une solennité presque liturgique. Ce qui n’allait pas servir immédiatement était posé sur le dressoir afin de ne pas encombrer inutilement une table qu’on s’évertuait à maintenir passablement dépouillée. Hormis le couteau, objet très personnel que chacun avait généralement sur soi, bien peu d’ustensiles étaient individuels. Gobelets et tranchoirs étaient partagés par deux convives. Sur le dressoir étaient aussi posées des serviettes de table individuelles qui devaient être présentées à quiconque en réclamait. Celles que les serviteurs portaient à l’épaule étaient uniquement réservées au service.
    Un échanson s’approcha pour verser dans de délicats verres à pied du moretum, un vin léger à base de mûres. Louis reçut le sien propre, ainsi qu’un tranchoir : on avait correctement présumé que personne

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