Le mariage de la licorne
voir le héraut et son drapeau disparaître de son champ de vision très limité avant que les deux chevaux ne s’élancent l’un vers l’autre. Mais il ne voyait pas d’Asnières. Où était-il donc ? Il fallait le trouver, vite. Abaisser la lance. Pas trop. La garder bien appuyée au creux du coude. L’écu protégeait cœur et ventre. Un plumail* rouge devant. D’Asnières. Les deux hommes, légèrement penchés vers l’avant, pointaient leur lance l’un vers l’autre comme des doigts accusateurs. La lance de Louis avait tendance à trop dévier vers la gauche ; redressée, elle visait l’écu. Bien. Il approchait. Il était près, trop près. Sa lance devait frapper maintenant. Maintenant !
Un claquement lui remplit les oreilles tandis qu’une secousse brutale lui projetait une douleur rayonnante à partir du creux du coude pour se répandre dans tout le bras et le côté droit de son corps. Son écu, brutalement plaqué contre lui, avait exercé une telle pression sur le bras gauche que Louis crut le membre cassé. Confus et le souffle coupé, il se sentit ballotté, prêt à vider les étriers. Un petit objet lui tomba sur la tête, faisant résonner son heaume. Ce bruit assourdissant l’étourdit davantage. Il se reprit à temps pour se rendre compte qu’il s’agissait d’un fragment de lance. De la sienne, assurément, car il n’avait plus en main qu’un moignon de bois.
Il chercha des yeux son adversaire et le trouva comme lui, toujours en selle et indemne, qui abandonnait son bout de lance cassée avant de tourner bride pour se rediriger en bout de lice. Le bourreau fit de même et attendit qu’on lui donne une nouvelle lance.
— Pas mal. Un début prometteur, dit l’un des dignitaires qui étaient installés sous le dais avec Isabeau et le roi.
D’autres bavardaient entre eux :
— C’est lui, le bourrel*, n’est-ce pas ?
— Qui ça ?
— Le noir.
— Je n’en sais rien. Il me semble, oui.
— Mais si, c’est lui. C’est le champion de la dame d’Harcourt.
— Vous plaisantez ? Non, vous ne plaisantez pas. Je viens de voir l’écharpe. Un bourrel*, je vous demande un peu ! Sapristi, on aura tout vu.
Louis crut à un coup de chance : la deuxième charge se conclut de la même façon. Était-ce dû à la présomption de son adversaire ? Quoi qu’il en fût, il ne leur restait qu’une dernière lance pour désigner le vainqueur.
— Faites attention à d’Asnières, chuchota à Louis le garçon d’écurie qui s’occupait du destrier à la robe de jais. C’est un très mauvais perdant. En tout cas, un bon jouteur qui connaît son affaire.
Il se mit à caresser le chanfrein soyeux du cheval qui répondit par un coup de tête affectueux. Le bourreau ne fit que tourner la tête dans sa direction sans dire un mot, ne sachant que penser de cette sympathie soudaine et ne pouvant deviner que certains commençaient à l’admirer pour la qualité inattendue de sa prestation. Il plissa les paupières afin d’observer d’Asnières qui, lui aussi, recevait quelques commentaires.
— Pourtant, vous avez le soleil dans le dos, disait l’écuyer à d’Asnières. Cela devrait l’aveugler un peu. S’il tient encore, messire, vous allez devoir ferrailler*.
— Il ne tiendra pas, grogna le jeune noble. Vérifie ma lance. Mets-y ce que tu sais.
Après l’examen minutieux qui était d’usage avant chacun des affrontements afin de détecter toute défectuosité du matériel, le jeune homme se tint prêt. Il arrivait souvent en effet qu’un nœud ou une fêlure à peine visibles sur une lance puissent compromettre l’issue du combat.
Impatient d’en découdre, d’Asnières avait éperonné son cheval une seconde avant le signal, faisant perdre à Louis un précieux avantage. Le son du cor faisait encore vibrer l’air, se mêlant aux huées que la foule adressait au tricheur, que l’homme en noir lançait à son tour Tonnerre au galop. Toinette, de son banc, rougissait de dépit. Mais le dommage était fait : pris de court, Louis avait mal placé sa lance au creux du coude : elle pointait vers le bas. Il était presque impossible, même à un excellent jouteur, de la redresser à temps une fois en course. C’était trop lourd. La foule retint son souffle.
« Il court lance basse, l’insensé ! » se dit d’Asnières, grisé.
— Quelle prétention, vraiment, de se risquer à cette manœuvre aussi audacieuse que périlleuse ! dit
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