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Le marquis des Éperviers

Le marquis des Éperviers

Titel: Le marquis des Éperviers Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Paul Desprat
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Celui-ci n’a pas trouvé en mourant de meilleure niche à faire au repos de l’Europe que léguer le monceau de ses couronnes au seul petit-fils de Louis XIV qui ne lui était rien de plus par le sang que ses cousins de Vienne…
    – Je savais cela tout de même ! protesta Victor.
    – Que ne me le disiez-vous plus tôt ! repartit le chevalier, vous m’auriez évité de doctoriser vainement. Puisque l’occasion se présente, retenez ceci : vous devrez toujours vous efforcer de faire valoir ce que vous savez et plus essentiellement, parfois, ce que vous ne savez pas. L’ignorance avouée, là où vous allez, est le pire des péchés. Notre bonne société, qui n’a pas sa pareille pour étiqueter ses nouvelles têtes, a forgé depuis des siècles d’implacables rites de savoir et d’usage auxquels il faut exactement souscrire pour pouvoir prétendre à de la considération. Ce ne sont que quincaille de connaissances, tournures alambiquées de langage, poussière tombée par couches épaisses de mœurs qui n’ont plus cours, mais qui, dans notre monde figé, vous tiendront lieu communément d’intelligence, de vertu et de passeport pour toutes les réussites. Gare donc aux prévôts que l’on dépêchera pour vous sonder ! En leur présence, levez la crête et parez-vous sans hésiter de l’aplomb de ceux qui ont sucé leur premier lait avec l’algèbre et l’étiquette ! Vous gagnerez le respect par la crainte que l’on prendra de vous et c’est par là que vous vous pousserez parmi les saints du jour 14 … Après cette première recette et puisque je n’ai apparemment rien à vous apprendre sur la succession de Charles II, je vous dirai seulement deux mots des effets que ce bel héritage a déjà eus sur le quotidien de nos provinces : il y a quelques mois, la route sur laquelle nous nous trouvons ne charriait rien de plus extravagant que quelques coquillards, ces derniers faux pèlerins de Saint-Jacques de Compostelle, les plus fourbes et cruels rançonneurs qui soient par les campagnes. En un seul jour, par le prodige du fabuleux testament, tout a couru aux Pyrénées : mercenaires, maréchaux de France, bouffons, agents secrets, valets et marmitons se sont rués par ici.
    – Mais à quoi trouvent à s’employer tant des nôtres dans un pays qui ne doit manquer ni de bons esprits, ni de gens capables ?
    – Voilà bien la question que se posent chaque jour un plus grand nombre de gens ! Ce pays, jeté sans l’avoir voulu dans la corbeille des Français, et guère plus désireux d’ailleurs de tomber dans celle des Autrichiens, n’aspire normalement qu’à demeurer soi-même.
    – Ce que vous dites, remarqua Victor, me fait ressouvenir que mon père, parlant il y a peu de cette succession, confiait, lui aussi, qu’il vaudrait mieux, pour la paix du monde, partager un empire aussi vaste et dont les parties, sans lien entre elles, comme Flandres, Milan, Naples et Amériques, s’avèrent depuis longtemps ingouvernables ensemble.
    – Votre père, reprit le chevalier, tenait le langage que tiennent en secret les gens sensés… Je puis d’ailleurs vous prédire que ces querelles finiront par le partage auquel on se refuse aujourd’hui mais, qu’avant d’en venir là, il faudra en passer par la mort de milliers d’innocents et la désolation de nos provinces qu’accableront une nouvelle fois ces satellites de la misère que sont les impôts d’exception et les recrutements militaires.
    Maximilien, qui parlait appuyé à l’arrière de la voiture, s’était redressé pour reprendre le cours de sa promenade mais, à peine eut-il fait trois pas, qu’il s’immobilisa de nouveau, poussant un cri et désignant d’une main fébrile le petit écusson qui ornait le coin d’une portière :
    – Ah, ça ! avez-vous vu ceci ?
    – Oui-da ! ce sont des armoiries.
    – Pas n’importe lesquelles, mon garçon, pas n’importe lesquelles ! Regardez attentivement ! ce sont celles d’un des plus fortunés et plus fameux personnages de France, le duc de Vendôme, petit-fils d’Henri IV et de la belle Gabrielle.
    Le chevalier, quelques secondes auparavant si calme alors qu’il dissertait en maître sur les malheurs du temps, s’était brusquement mué en une sorte de marionnette dégingandée. Il fila vers l’auberge en flèche, se retournant depuis le balcon pour lancer :
    – Nous partirons à l’aube ; le premier levé fera activer l’autre !
    Victor, stupéfait par tant d’agitation,

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