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Le marquis des Éperviers

Le marquis des Éperviers

Titel: Le marquis des Éperviers Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Paul Desprat
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toujours vide.
    Le chevalier, profitant du silence, se rapprocha pour venir chuchoter à son oreille :
    – Les bourgeois personnifient l’égoïsme de ce siècle !… Il faut, quand l’occasion se présente, leur savonner la tête ; ça ne les rend pas meilleurs – la chose est impossible – du moins cela leur donne-t-il à moudre.
    Victor put, au même instant, contempler à la dérobée, illustration des propos de son voisin, les Toulousains qui échangeaient des regards outrés. L’imposante poitrine de la femme se comprimait en faisant entendre le gargouillis triste du serpent 9 à l’office des morts, tandis que le mari, le front dégoulinant de sueur, ne demeurait muet que par peur d’être rossé.
    Le chevalier de Carresse, ces premières paroles glissées en confidence, avait considéré Victor avec un visible intérêt et l’expression, restée longtemps grave, de son visage coula bientôt dans une grimace drolatique.
    – Je ne vous demande pas où vous allez, fit-il d’une voix changée par la jubilation, il suffit de vous observer pour se convaincre que c’est à Paris… D’ailleurs, où pourrait bien courir un garçon portant l’épée, pauvre à l’évidence, et assez malheureux aussi pour accrocher si jeune à son regard les douloureux stigmates de l’exil ?
    – Je vais à Paris en effet, confia Victor, chez mon oncle Charles Davignon d’Antraigues qui m’offre son hospitalité.
    – Davignon… le conseiller d’État ! se récria le chevalier, ah ! si c’est bien de lui qu’il s’agit, vous pouvez dès à présent chasser la tristesse de sur votre front… Vous vous rendez chez des gens qui ont du cœur et de l’esprit ; voici des qualités presque introuvables dès qu’on pénètre le monde de ceux qui ont affaire avec la cour.
    Victor, à ces mots, ouvrit des yeux plus ronds que ceux du hibou effaré par le brusque retour du jour :
    – Vous connaissez mon oncle ?
    – À Paris tous les gens de qualité rêvent de fréquenter l’Hôtel Davignon. Votre tante y fait une hôtesse exquise, elle s’entend par sa grâce à mettre la meilleure société à ses pieds…
    – Est-elle donc belle ? Est-elle donc aimable ?
    Le chevalier partit d’un petit rire.
    – Au-delà de ce que vous imaginez. J’ajoute qu’elle possède l’art d’émailler les conversations de l’esprit le plus croustilleux du monde et que votre oncle, quoique travaillant dans les bureaux de la Chancellerie, est universellement révéré pour l’étendue de sa science et l’impartialité de ses opinions…
    Le jeune voyageur crevait de curiosité, ses yeux mendiaient d’autres détails. Même, il était resté si suspendu aux mouvements des lèvres de son voisin, que, en dépit de sa faim, il n’avait pas remarqué son écuelle enfin tapissée de soupe veloutée.
    – Comment êtes-vous le parent du conseiller ? demanda le chevalier qui venait, sans hésiter, de porter à ses lèvres une première cuillerée enveloppée de fumerolles.
    – Ma défunte mère était la sœur de madame Davignon. Elles sont nées Tressan…
    – Les Tressan du Rouergue, intervint de nouveau Maximilien de Carresse.
    – Vous les connaissez donc aussi ! s’exclama Victor de plus en plus subjugué par ce voyageur qui paraissait entretenir commerce avec l’univers.
    – Je vous conterai tantôt pourquoi ces noms me sont familiers et vous vous rendrez compte que ma science est d’un mérite tout professionnel… Mais revenons-en à vous ! vous me semblez curieusement ignorer beaucoup de choses à propos de ceux chez qui vous vous rendez.
    – Presque tout ! avoua Victor dépité, le peu que je sais je le tiens de mon père et d’un de mes oncles, l’abbé de Tressan, qui fit longtemps pour moi office de précepteur. Ses fonctions de vicaire général de Rodez le conduisent chaque année dans la capitale, près de l’Agence Générale du clergé 10 . Il y voit quelques fois sa sœur mais, comme il est moins sensible que vous paraissez l’être au frottement du monde, il ne se risque hors du couvent où il réside qu’à condition d’éviter chez elle toute société. Jugez par là si j’ai pu collecter assez de traits et de couleurs pour me figurer mes parents autrement qu’en Iroquois et me représenter Paris sous une autre lumière que celle d’une île de la Jamaïque.
    – Que voilà un saint homme que cet oncle ! railla le chevalier, ce serait bien le seul curé de ma connaissance qui ne profitât pas d’un

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