Le médecin d'Ispahan
jaillissait de sa bouche hurlante, il
fallut trouver et ligaturer un vaisseau.
Il sentit grandir
en lui la haine de cette justice royale et du tribunal de Qandrasseh.
« Voici
l'un de nos instruments les plus importants », dit Ibn Sina aux étudiants,
avec solennité.
Il tenait une
fiole d'urine, en forme de cloche, avec un large bord relevé pour recueillir le
liquide. Il avait fait faire cette matula par un souffleur de verre,
pour les médecins et les élèves.
Rob savait
que, si l'urine contenait du sang et du pus, c'était mauvais signe ; mais
le maître avait déjà consacré deux semaines de cours à ce sujet !
Etait-elle fluide ou épaisse ? Toutes les subtilités de l'odeur étaient
pesées et discutées ; les traces de sucre, l'odeur de craie qui peut
suggérer la présence de pierres ; l'aigreur d'un mal dévastateur. Ou
simplement la forte senteur végétale qui trahit le mangeur d'asperges ? Un
débit copieux signifiait que le corps éliminait la maladie ; s'il était
maigre, c'est que la fièvre desséchait les fluides de l'organisme. Quant à la
couleur, c'était toute une palette de jaunes, du clair à l'ocre foncé, au
rouge, au brun, au noir selon les proportions des divers composants insolubles.
Pourquoi tant
de cours à propos de l'urine ? Ibn Sina souriait.
« Elle
vient de l'intérieur, où se produit tout ce qui est important. »
Il leur lut un
passage de Galien sur l'élaboration de l'urine par les reins : « Tout
boucher sait cela ; il voit chaque jour la disposition des rognons et le
canal de l'urètre, qui va du rein dans la vessie. Par l'étude de l'anatomie, il
comprend leur usage et la nature de leurs fonctions. »
Rob était
indigné. Les médecins avaient-ils besoin des bouchers et des cadavres de porcs
ou de moutons pour comprendre le corps humain ? Pourquoi ne pas aller voir
à l'intérieur des hommes et des femmes ? Les mullahs de Qandrasseh ne se
gênaient pas pour forniquer à l'occasion ou se soûler. Pourquoi les médecins ne
pourraient-ils enfreindre leurs interdits dans l'intérêt de la science ?
Personne ne parlait de mutilation éternelle et de résurrection des corps quand
un tribunal religieux décapitait un prisonnier, lui faisait couper la main, la
langue, ou fendre le ventre.
Le lendemain
matin, deux gardes du palais vinrent le chercher avec un chariot attelé d'une
mule.
« Sa
Majesté fait une visite aujourd'hui, maître, et requiert votre compagnie. Le
capitaine des Portes vous prie de vous hâter. »
« Qu'est-ce
encore ? » se demanda Rob. Mais le soldat toussota discrètement.
« Peut-être
vaudrait-il mieux que le maître mette ses meilleurs habits ?
– Ce sont ceux
que je porte », dit le « maître » et ils l'installèrent à
l'arrière du chariot, sur des sacs de riz.
Ils quittèrent
la ville en même temps qu'un défilé de courtisans à cheval ou en chaises à
porteurs, mêlés aux voitures chargées de matériel et d'approvisionnement.
Malgré son perchoir rudimentaire, Rob se sentait comme un roi : il n'avait
jamais été ainsi véhiculé sur une route récemment couverte de gravier et
arrosée de frais. Tout un côté, réservé au chah, était jonché de fleurs.
Le trajet
s'achevait chez le général Rotun bin Nasr, cousin éloigné du souverain et
gouverneur honoraire de la madrassa.
« C'est
lui », dirent les soldats en désignant un gros homme réjoui et volubile.
Il avait une
superbe propriété. La réception allait commencer dans un jardin vaste et bien
entretenu ; autour d'une grande fontaine de marbre, on avait disposé des
tapis d'or et de soie, semés de coussins richement brodés. Des serviteurs
s'affairaient, portant des plateaux de sucreries, de gâteaux, de vins
d'aromates et d'eaux de senteur. Près de l'entrée, à une extrémité du jardin,
un eunuque armé d'un sabre dégainé gardait la Troisième Porte, qui menait au
harem. Selon la loi islamique, le maître de maison était seul admis dans
l'appartement des femmes et tout intrus mâle risquait l'éventration.
Prévenu par
les soldats qu'on ne lui demanderait aucun travail, Rob alla se promener sur
une proche esplanade où se côtoyaient des animaux, des nobles, des esclaves et
une armée de baladins qui semblaient répéter tous à la fois. On avait réuni là
une aristocratie de quadrupèdes : une douzaine d'étalons arabes nerveux et
fiers, aux regards de feu, portaient des brides incrustées de pierres
précieuses,
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