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Le médecin d'Ispahan

Le médecin d'Ispahan

Titel: Le médecin d'Ispahan Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Noah Gordon
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avoir seulement regardé de
travers leur souverain, semblaient maintenant n'avoir d'autre ambition que de
l'estropier ; et à en juger par les réactions du public, sans doute
n'aurait-on pas été fâché de le voir frappé ou jeté à terre. Mais il ne l'était
pas.
    Rob n'avait
jamais rien vu de pareil : téméraire, dirigeant sa monture sans se servir
de ses mains, il faisait corps avec elle. Les chevaux étaient des
merveilles : ils suivaient la balle sans même ralentir et pouvaient
immédiatement faire volte-face et partir à fond de train dans la direction
opposée.
    Finalement, au
son des tambours et des cymbales, le chah fut déclaré vainqueur par cinq buts
contre trois à ses adversaires. Pour célébrer sa victoire, on lâcha deux lions
contre deux jeunes taureaux. Partie inégale car les fauves n'étaient pas plus
tôt lâchés qu'on abattit les taureaux, dont ils purent aussitôt déchirer les
chairs encore palpitantes. Et Rob comprit qu'il eût été inconvenant et de
mauvais augure qu'un simple taureau risque, par malchance, de vaincre le Lion
de Perse, symbole de la toute-puissance du roi des rois ; surtout pendant
une fête donnée en son honneur.
    Au jardin,
quatre femmes voilées dansèrent au son de la flûte tandis qu'un poète chantait
les houris , ces fraîches et voluptueuses vierges du paradis. L'imam
Qandrasseh lui-même n'aurait rien trouvé à redire : à peine devinait-on de
temps en temps la courbe d'une fesse ou la pointe d'un sein sous leurs
volumineuses robes noires. Les mains seules étaient nues, et les pieds rougis
de henné. Les nobles les regardaient avidement, en rêvant à tout ce qui, sous
l'étoffe, devait encore être fardé.
    Le chah se
leva et, faisant le tour du bassin, dépassa l'eunuque au sabre nu pour entrer
dans le harem. Le capitaine des Portes alla rejoindre l'eunuque pour garder
avec lui la Troisième Porte. Les conversations reprirent de plus belle ;
tout près, le général, maître de maison, se mit à rire très fort de sa propre
plaisanterie, sans paraître remarquer qu'Ala venait, sous les yeux de la cour,
d'entrer chez ses femmes.
     
    Une heure plus
tard, le chah était de retour, l'air détendu. Khuff quitta la Troisième Porte,
et sur un signe imperceptible, le festin commença. Sur des nappes de brocart,
on servit quatre sortes de pain, onze sortes de pilah dans d'immenses bassins
d'argent ; le riz, chaque fois, était coloré et parfumé
différemment : safran ou sucre, poivres, cinnamome, girofle, rhubarbe, jus
de grenade ou de citron. Il y eut des douzaines de volailles, des cuissots
d'antilopes braisés, du mouton grillé et surtout des agneaux entiers cuits à la
broche, merveilleusement tendres, juteux et croustillants.
    « Barbier,
barbier, quel dommage que tu ne sois as là ! » se disait Rob. Lui
qu'un tel maître avait initié à la gastronomie, ne connaissait depuis des mois
que des repas hâtifs, Spartiates, disputés à l'étude qui remplissait sa vie. Il
entreprit de bon cœur de goûter à tout.
    Au crépuscule,
les esclaves allumèrent de grandes chandelles fixées à la carapace de tortues
vivantes, puis on apporta un potage aux herbes, des œufs, un hachis fortement
épicé et du poisson frit qui rappelait la chair du carrelet, avec la
délicatesse de la truite. L'ombre s'épaissit et les cris des oiseaux de nuit se
mêlèrent aux murmures, aux bruits de mâchoires et aux éructations. Il y eut
encore une salade d'hiver et une d'été, un sherbet aigre-doux, des pâtisseries,
des noix au miel et des graines salées, servis avec du vin. Il arrivait sans
cesse des outres pleines prises aux inépuisables réserves du chah. Les convives
commençaient à se lever pour aller se soulager ou vomir. D'autres étaient ivres
morts.
    Les tortues
s'en furent ensemble, peut-être à bout de nerfs, regroupant les lumières dans
un coin et laissant dans le noir le reste du jardin. Un jeune eunuque,
s'accompagnant à la lyre, chanta les guerriers et l'amour sans se soucier de
deux hommes qui se battaient à côté de lui en se traitant de « con de
pute » et de « gueule de Juif » ; il fallut les séparer et
les mettre dehors. Finalement, le chah inconscient fut pris de nausées. On le
porta dans sa voiture.
    Alors, Rob
s'en alla. Dans la nuit sans lune, il eut du mal à retrouver son chemin.
Cavaliers et meneurs d'attelage le dépassaient sans lui proposer de monter et
il mit des heures à regagner Ispahan. Il s'arrêta à

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