Le médecin d'Ispahan
pût d'abord lui paraître,
Rob en prit vite l'habitude parce qu'il avait déjà une longue expérience des
patients.
Le plus dur
était le soir, quand de retour chez lui il luttait contre les exigences de
l'étude et celles du sommeil. Aristote s'était révélé un vieux Grec plein de
sagesse ; un sujet passionnant changeait une corvée en plaisir. Mais
Sayyid Sa'di lui demanda très vite de lire Héraclite et Platon ;
Al-Juzjani, aussi naturellement que s'il s'était agi de mettre une bûche au
feu, le pria de lire les douze livres traitant de la médecine dans l' Histoire
naturelle de Pline – cela « pour se préparer à lire tout Galien
l'année suivante » !
Il fallait
sans cesse apprendre le Coran, et plus il en apprenait, plus il s'irritait des
répétitions du message de Mahomet et de ses attaques contre les Juifs et les
chrétiens. Il persévérait pourtant. Il vendit l'âne et la mule dont les soins
lui prenaient du temps. Il se nourrissait en hâte et sans plaisir. Aucune
fantaisie n'avait de place dans sa vie. Il lisait chaque nuit jusqu'à la limite
de ses forces et s'endormait sur le livre ouvert. C'était donc pour cela que
Dieu lui avait donné un corps solide et de bons yeux. Il mettait à l'épreuve
son endurance pour se dépasser et devenir un homme de savoir.
Un soir,
sentant qu'il était à bout et qu'il lui fallait s'échapper, il quitta sa petite
maison pour se plonger dans la vie nocturne des maidans. Il ne connaissait les
grandes places de la ville qu'en plein jour, brûlées de soleil, avec quelques
flâneurs et des dormeurs pelotonnés dans un coin d'ombre. Tout revivait la nuit
et c'était l'envers du décor : les plaisirs bruyants d'une foule de mâles
de la Perse populaire. Tout le monde parlait et riait à la fois dans un
tohu-bohu de foire. Des chanteurs-jongleurs, habiles et facétieux, donnèrent à
Rob envie de les rejoindre. Il vit des lutteurs aux corps massifs, luisants de
graisse pour rendre les prises plus difficiles, et sur lesquels les spectateurs
pariaient en leur criant des conseils. Des montreurs de marionnettes donnaient
un spectacle licencieux, des acrobates faisaient le saut périlleux, et les
petits marchands de toutes sortes se disputaient l'attention des passants.
Il s'arrêta
devant un étalage de livres, qu'éclairait une torche, et se mit à feuilleter un
recueil de dessins : chacun montrait un homme et une femme, toujours les
mêmes, en train de faire l'amour dans des postures qu'il n'aurait jamais
imaginées.
« Les
soixante-quatre complètes en images, maître », dit le marchand.
Rob n'avait
pas la moindre idée de ce qu'étaient ces « soixante-quatre » ;
il savait que la loi islamique interdisait de vendre ou de posséder aucune
image de la figure humaine. Mais il trouva le livre passionnant et l'acheta.
Puis il entra dans une taverne pleine de gens qui jacassaient, et demanda du
vin.
« Nous
n'avons pas de vin. C'est une chaikhana , une maison de thé, dit un
serveur efféminé. Vous pouvez prendre du chai ou du sherbet, ou de l'eau
de rose à la cardamome.
– Qu'est-ce
que le chai ?
– Une boisson
délicieuse, qui vient de l'Inde, je crois. A moins qu'elle ne nous arrive par
la route de la soie. »
Rob commanda
du chai et un plateau de sucreries.
« Nous
avons un salon particulier. Voulez-vous un garçon ?
– Non. »
Le chai était
brûlant, ambré, à la fois fade et un peu astringent, mais les sucreries étaient
très bonnes. Des galeries supérieures des arcades près du maidan, venaient des
mélodies, jouées par des trompettes de cuivre poli de huit pieds de long. Rob
but beaucoup de chai en regardant la foule, jusqu'à ce qu'un conteur commence à
réciter la légende de Jamshid, le quatrième des rois héros. La mythologie ne
l'attirant pas plus que la pédérastie, il paya et traversa la cohue jusqu'à
l'autre bout du maidan. Il resta un moment à regarder les chariots attelés de
mules qui passaient et repassaient autour de la place, et dont les autres
étudiants lui avaient déjà parlé.
Il en arrêta
un, qui avait un lis peint sur la porte. A l'intérieur, il faisait noir. La
femme attendait pour bouger que les mules se mettent en marche. Bientôt il y
vit assez clair pour se rendre compte qu'elle était plutôt grasse et aurait pu
être sa mère ; elle lui plut car c'était une honnête putain : elle ne
simula ni passion ni plaisir, mais s'occupa de lui avec douceur et
savoir-faire. Elle tira
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