Le médecin d'Ispahan
mi-chemin, et s'assit sur
un mur bas pour contempler cette étonnante cité, où l'on faisait tout ce qui
était interdit par le Coran. Un homme pouvait avoir quatre épouses, mais beaucoup
plus nombreux étaient ceux qui risquaient la mort en couchant avec d'autres
femmes, tandis que le roi des rois baisait ouvertement comme il lui plaisait.
Le vin, proscrit sous peine de péché par le Prophète, était une passion
nationale et le souverain collectionnait les grands crus.
Rêvant à ce
puzzle qu'était la Perse, il rentra sur ses jambes chancelantes tandis que les
cieux s'irisaient de reflets nacrés et que le muezzin appelait à la prière en
haut du minaret de la mosquée du Vendredi.
43. L'ÉQUIPE MÉDICALE
Ibn
Sina avait l'habitude des vertueuses malédictions de l'imam Qandrasseh
qui, ne pouvant s'en prendre au chah, avertissait ses conseillers avec une
véhémence grandissante : l'ivrognerie et la débauche attireraient des
foudres plus puissantes que celles du trône. Le vizir avait donc réuni des
informations de l'étranger qui prouvaient avec évidence que la colère d'Allah
se déchaînait contre les pécheurs sur la terre entière.
Selon des
voyageurs de la route de la soie, les terres chinoises arrosées par le Kiang et
le Hoai étaient dévastées de séismes et de brouillards pestilentiels. En Inde,
la sécheresse avait été suivie d'abondantes pluies printanières, mais les
récoltes en plein épanouissement étaient la proie des criquets. De violentes
tempêtes avaient ravagé les côtes de la mer d'Arabie, causant des inondations
meurtrières, tandis que l'Egypte connaissait la famine après les crues
insuffisantes du Nil. Un volcan surgissait ici ; là, deux mullahs voyaient
des démons en rêve. Un mois avant le ramadan, une éclipse partielle du soleil
avait embrasé le ciel.
Mais le pire
vint des astrologues royaux, qui prévoyaient avant deux mois la conjonction de
trois planètes majeures, Saturne, Jupiter et Mars, dans le signe du Verseau. On
discutait de la date, mais tous s'accordaient sur la gravité de l'événement.
Ibn Sina lui-même se rappelait ce qu'avait écrit Aristote sur la menace d'une
conjonction Mars-Jupiter. Aussi personne ne s'étonna lorsqu'un matin Qandrasseh
manda Ibn Sina pour lui annoncer que la peste s'était déclarée à Chiraz, la
plus grande ville de l'Anshan.
« Quelle
peste ? demanda Ibn Sina.
– La
mort. » (C'est ainsi qu'on appelait la peste noire.)
Ibn Sina
pâlit, espérant encore que l'imam se trompait car la peste noire n'avait pas
reparu en Perse depuis trois cents ans. Mais il s'attaqua aussitôt au problème.
« Il faut
envoyer immédiatement des soldats sur la route des épices, pour refouler toutes
les caravanes et les voyageurs venant du sud et dépêcher une équipe médicale à
Chiraz...
– La région ne
nous rapporte guère d'impôts...
– C'est notre
propre intérêt de contenir le mal, car cette peste se propage très
rapidement. »
Rentré chez
lui, Ibn Sina décida de ne pas se séparer de ses collègues, dont on aurait
besoin à Ispahan si le fléau s'y déclarait. Il enverrait plutôt un seul médecin
avec une équipe d'étudiants. Ayant réfléchi, il prit une plume d'oie, de
l'encre, du papier, puis écrivit :
Hakim Fadil
ibn Parviz, chef ;
Suleiman
al-Gamal, étudiant de troisième année ;
Jesse ben
Benjamin, étudiant de première année ;
Mirdin Askari,
étudiant de deuxième année.
L'équipe
devait aussi comporter quelques-uns des élèves les plus faibles, pour leur
donner cette chance unique, providentielle de rattraper leur retard et de
devenir médecins. Il ajouta donc les noms suivants :
Omar Nivahend,
étudiant de troisième année ;
Abbas Sefi,
étudiant de troisième année ;
Ali Rashid,
étudiant de première année ;
Karim Harun,
étudiant de septième année.
Quand les huit
jeunes gens réunis apprirent du médecin-chef qu'ils allaient au Anshan
combattre la peste noire, ils furent pris d'un tel embarras qu'ils n'osaient
pas se regarder.
« Il faut
emporter des armes, dit Ibn Sina, car les réactions des gens sont imprévisibles
en cas de peste. »
Ali Rashid
poussa un long soupir en frissonnant. Il avait seize ans, les joues rondes, des
yeux doux, et sa famille lui manquait tellement qu'il pleurait jour et nuit
sans pouvoir travailler. Rob s'obligea à écouter attentivement ce que disait le
maître.
« ...
Nous ne savons pas la combattre car elle ne s'est pas produite
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