Le médecin d'Ispahan
Hamadhan, dit-il lentement. Ce n'était donc pas un
raid seldjoukide mais certainement une entrevue pour préparer un complot... A
qui l'as-tu raconté ?
– A personne,
Majesté.
– Que cela
reste entre nous. »
Il n'en fut
plus question. Le roi installa l'échiquier et parut enchanté des progrès de son
adversaire.
« Ah !
Dhimmi, tu deviens aussi habile et rusé qu'un Persan ! »
Leur jeu en
effet avait évolué ; Rob finit par être battu, mais il aurait tenu plus
longtemps s'il n'avait eu hâte de retrouver sa femme.
Ispahan était
la plus belle ville que Mary ait jamais vue ; peut-être aussi parce
qu'elle y vivait avec Rob. Elle aimait la petite maison du Yehuddiyyeh, malgré
la pauvreté du quartier, et consacra sa première journée de solitude à la
réparer. Au milieu de la matinée, un bel homme frappa à la porte. Il apportait
un panier de prunes noires, qu'il posa, à la terreur de Mary, pour toucher ses
cheveux roux. Il rit, montrant ses dents éblouissantes dans son visage brun, et
se mit à parler avec éloquence, charme et sentiment, sans s'apercevoir qu'elle
ignorait le persan.
« Excusez-moi »,
dit-elle en anglais.
Il comprit
enfin et, la main sur la poitrine, fit simplement :
« Karim.
– Tu es l'ami
de mon mari ! »
Ils étaient
ravis tous les deux, sans pouvoir communiquer davantage. Alors elle s'assit
pour manger une prune sucrée tandis qu'il mélangeait le plâtre, bouchait les
fissures et refaisait le bord de la fenêtre. Il l'aida même à tailler les
buissons d'épines du jardin. Quand Rob rentra, ils dînèrent ensemble, après la
tombée du jour car c'était le ramadan.
« J'aime
bien Karim, dit Mary lorsqu'il fut parti. Et l'autre, Mirdin, le verrai-je
bientôt ?
– Ça, je n'en
sais rien », répondit-il en l'embrassant.
Le ramadan
était un mois sévère, voué à la prière et à la pénitence. Plus de marchands
ambulants dans les rues, les maidans restaient silencieux. Mais on se
réunissait la nuit en famille et entre amis pour rompre le jeûne et prendre des
forces en vue du lendemain.
« L'an
dernier, à cette époque, nous étions en Anatolie. Papa avait acheté des moutons
et nous avons donné une grande fête pour nos serviteurs musulmans... A présent
je suis en deuil. »
Elle était
tourmentée de sentiments contradictoires, entre son chagrin et ce mariage qui
la comblait. Chaque fois qu'elle se risquait hors de la maison, les gens lui
paraissaient hostiles. Sa robe noire ne la distinguait pas des autres femmes,
mais la chevelure rousse, même sous le chapeau de voyage à large bord,
trahissait l'Européenne, qu'on dévisageait froidement. Elle se serait sentie
seule dans cette ville grouillante, sans l'intimité parfaite qu'elle goûtait
avec son mari.
Karim seul
leur rendait visite, et elle le vit plusieurs fois courir à travers les rues,
s'entraînant pour le chatir. La course aurait lieu le premier jour du bairam ,
la grande fête qui concluait le mois du jeûne.
« J'ai
promis, dit Rob, de l'assister pendant l'épreuve et Mirdin viendra aussi ;
nous ne serons pas trop de deux. »
Il expliqua à
Mary qu'on pouvait suivre le chatir même pendant un deuil et, après avoir
réfléchi, elle décida d'y aller elle aussi.
Le matin, un
épais brouillard fit espérer à Karim un temps favorable à la course. Il avait
bien dormi, comme les autres concurrents sans doute, en oubliant ce qui
l'attendait. Il se leva et prépara un grand pilah de riz et de pois, avec des
graines de céleri soigneusement dosées ; il en mangea largement avant de
retourner s'allonger pour laisser agir le céleri. L'esprit libre et serein, il
priait :
« Allah,
fais-moi aujourd'hui le corps agile et le pied sûr, une poitrine au souffle
sans défaillance, des jambes fortes et souples comme de jeunes arbres. Garde
mon esprit clair, mes sens aiguisés, et mes yeux sans cesse sur Toi. » Il
ne demandait pas la victoire. Zaki-Omar le lui avait dit quand il était
enfant : « Tout le monde veut la victoire ! Comment Allah s'y retrouverait-il ?
Demande plutôt la vitesse, l'endurance, et uses-en de manière à être
responsable de ta victoire ou de ta défaite. »
Le besoin s'en
faisant sentir, il se leva pour libérer son intestin ; les graines, bien
mesurées, le laissaient dispos mais non affaibli, et à l'abri de toute gêne
pendant le circuit. Il fît chauffer de l'eau, se lava et se sécha rapidement,
puis se frotta d'huile d'olive
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