Le médecin d'Ispahan
les odeurs de mort dans la tente et senteur de l'herbe sous ses pieds,
les plaintes des blessés, le bourdonnement des mouches, les bruits lointains de
la bataille. Il oublia la mort de son ami et son lourd chagrin. Pour la
première fois, il avait sous les yeux l'intérieur d'un corps d'homme. Il
touchait un cœur humain.
60. QUATRE AMIS
Il lava Mirdin, lui tailla les ongles, peigna ses cheveux et l'enveloppa dans son
châle de prière, dont il avait coupé une partie des franges, selon la coutume.
Il chercha Karim, qui parut vivement affecté en apprenant la nouvelle.
« Je ne
veux pas qu'on l'enterre dans la fosse commune, dit Rob. Sa famille viendra
sans doute le chercher pour lui donner à Mascate, parmi les siens, une
sépulture en terre sacrée. »
Ils choisirent
un endroit devant un rocher si énorme que les éléphants ne pourraient le
déplacer et prirent des mesures précises par rapport à la route. Karim usa de
son influence pour obtenir du papier, une plume et de l'encre, afin de relever
le plan quand ils auraient creusé la tombe. Rob en ferait une bonne copie qu'il
enverrait à Mascate ; sinon, tant qu'ils n'auraient pas la preuve formelle
de la mort de Mirdin, Fara, considérée comme une femme abandonnée, ne pourrait
se remarier. Telle était la Loi.
Karim alla
prévenir le chah, qui célébrait sa victoire en buvant avec ses officiers. Il
l'écouta un instant puis le congédia d'un geste impatient. Rob eut un sursaut
de haine et se rappela le ton du roi, dans la grotte, quand il avait dit à
Mirdin : « Nous sommes quatre amis ! »
Il n'y eut
personne pour dire le Kaddish , la prière des morts, devant la tombe.
Près de Karim, qui murmurait quelque invocation islamique, Rob resta immobile
et muet tandis que la terre se refermait sur le corps de son ami.
Il ne restait
plus d'Indiens à tuer dans la forêt, la route était libre et Farhad, le nouveau
capitaine des Portes, commença à hurler ses ordres pour préparer le départ. Ala
faisait le bilan de l'expédition dans l'allégresse générale. Il y avait gagné
son forgeron, vingt-huit éléphants, plus quatre jeunes bons pour le portage,
des chameaux rapides et une douzaine d'autres. Il était enchanté de ses succès.
Des six cents
hommes partis d'Ispahan, cent vingt étaient morts, et les quarante-sept blessés
dont Rob avait la responsabilité ne survivraient pas tous. Refusant de les
abandonner, il fit faire des litières avec les couvertures ramassées au
village ; les Indiens les porteraient. Deux soldats se noyèrent dans la difficile
traversée de l'Indus, puis les patients les plus atteints moururent – six en
une seule journée – et, au bout de quinze jours de voyage, on arriva au
Baloutchistan.
On campa dans
un champ et Rob installa ses malades dans une grange ouverte. Il demanda une audience,
mais Farhad faisant traîner les choses, ce fut Karim qui l'introduisit près du
chah.
« Il me
reste vingt et un blessés, qui doivent se reposer un certain temps, sinon ils
mourront, Majesté.
– Je ne peux
pas attendre les blessés, dit Ala, impatient de rentrer triomphalement à
Ispahan.
– Je demande
l'autorisation de rester ici avec eux.
– Je ne
laisserai pas Karim rester avec vous comme médecin. Il doit rentrer avec
moi. »
On lui donna
quinze Indiens, vingt-sept soldats pour porter les litières, deux mahouts et
les cinq éléphants qui avaient encore besoin de ses soins. Le lendemain matin,
on leva le camp dans l'affairement habituel, puis ce fut le silence, à la fois
bienvenu et un peu déprimant. Le repos se révéla bénéfique pour les patients,
enfin à l'abri du soleil et de la poussière. Il en mourut pourtant deux le
premier jour, puis un le quatrième, mais les plus valides s'en tirèrent grâce à
la décision de Rob.
Au début les
soldats s'irritèrent de se voir imposer de nouveaux dangers et un travail ingrat
pendant que les autres rentraient en vainqueurs. Deux gardes disparurent la
seconde nuit. Les Indiens désarmés et les guerriers de métier comprirent
bientôt qu'ils pourraient eux aussi être frappés un jour, et furent
reconnaissants au hakim de risquer vie pour leurs pareils. Il en envoyait
chaque matin à la chasse, et le petit gibier, avec du riz que Karim lui avait
laissé, rendait les forces à ses convalescents.
Il s'occupait
des éléphants comme des hommes, changeait les pansements, lavait les plaies
avec du vin et il fit une observation surprenante : les
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