Le médecin d'Ispahan
blessures traitées
à l'huile s'étaient presque toujours infectées, entraînant la mort des malades,
ce qui ne se produisait plus avec le vin ; et, comme il allait en manquer,
il se promit d’acheter en chemin l'alcool chez les fermiers – ainsi qu'il
l'avait fait si souvent pour préparer le Spécifique.
Au bout de
trois semaines, on quitta la grange et quatre des patients purent remonter à
cheval. Rob abandonna la route des épices pour des chemins moins importants ;
il y eut des mécontents car le retour en serait plus long, mais il voulait
éviter à sa petite caravane la haine et la famine que laissaient derrière eux
les pillages du chah.
Il échangea
sans regret sa chamelle pour le large dos d'un des éléphants les plus valides,
qui lui offrit le confort, la stabilité et, sur le monde, un point de vue de
roi. Il avait aussi le temps de penser et le souvenir de Mirdin ne le quittait
pas. Les plaisirs habituels du voyage : le brusque envol de milliers d'oiseaux,
le couchant qui enflammait le ciel, les éléphants qui marchaient au bord des
fossés escarpés pour les faire s'effondrer puis, assis, descendaient la pente
en glissant comme des enfants, tout cela lui donnait peu de joie.
« Jésus,
se disait-il, ou Shaddai, ou Allah, qui que tu sois, comment peux-tu autoriser
un tel gâchis ? »
Les rois
jetaient les hommes dans la guerre et ceux qui survivaient était parfois des
médiocres ou même des gredins. Pourquoi Dieu avait-il permis la mort d'un être
qui avait toutes les qualités d'un saint et un esprit que tous
admiraient ? Mirdin aurait passé sa vie à soigner et servir l'humanité.
Jamais, depuis l'enterrement du Barbier, une mort ne l'avait ainsi bouleversé.
Ils arrivèrent
à Ispahan en fin d'après-midi. La ville était telle qu'il l'avait vue la
première fois : murs et dômes blancs, ombres bleues et toits roses. Ils
allèrent directement au maristan ou l'on se chargerait des dix-huit blessés.
Puis, aux écuries du palais, Rob se déchargea de la responsabilité des soldats,
des esclaves et des animaux. Il demanda enfin son cheval brun. Farhad, pour ne
pas perdre de temps en recherches, voulut lui faire donner une autre monture.
– Je veux mon
cheval », répéta Rob, surpris de sa propre violence.
Frappé par le
ton du hakim, le nouveau capitaine des Portes céda avec un haussement
d'épaules. Retrouvé et sellé, le cheval brun se mit à trotter vaillamment
jusqu'au quartier juif.
Entendant du
bruit du côté des animaux, Mary sortit avec une lampe et l'épée de son
père : Rob était revenu. Il reconduisit à sa stalle le hongre dessellé, se
retourna, et elle vit, sous la faible lumière, combien il avait maigri ;
c'était presque le garçon à demi sauvage qu'elle avait connu dans la caravane
de Kerl Fritta. En trois pas il fut près d'elle, l'étreignit en silence, puis
il toucha son ventre plat.
« Ça
s'est bien passé ? »
Elle eut un
rire un peu tremblant car elle était lasse et brisée. Il n'avait manqué que de
cinq jours ses cris déchirants.
« Ton
fils a mis deux jours à naître.
– Un
fils. »
Elle posa
l'épée et prit sa main pour le conduire près de l'enfant qui dormait dans un
panier sous sa couverture. Devant ces petits traits rougis et gonflés par le
travail de la naissance, était-il déçu ou comblé ? En levant les yeux,
elle lut sur son visage de la peine mêlée à sa joie.
« Comment
va Fara ?
– Karim est
venu le lui dire. J'ai passé près d'elle les sept jours de deuil ; puis,
avec les enfants, elle a rejoint une caravane pour Mascate. Avec l'aide de
Dieu, elle doit être maintenant parmi les siens.
– Ce sera dur
pour toi, sans elle.
– C'est plus
dur pour elle », dit-elle avec tristesse.
L'enfant se
mit à pleurer ; Rob lui tendit un doigt que la petite main serra avec
avidité. Puis il s'allongea près de Mary, qui avait ouvert le haut de sa robe
pour allaiter son fils. Il posa sa joue sur l'autre sein et elle sentit bientôt
des larmes sur sa peau. C'était la première fois qu'elle voyait un homme
pleurer.
« Mon
chéri, mon Rob », murmura-t-elle, guidant instinctivement ses lèvres vers
le bout du sein.
Amusée mais
aussi profondément émue de se sentir « bue » par la petite bouche et
la grande, dont la caresse lui était si familière, elle se dit que, cette fois,
tous trois ne faisaient qu'un.
SIXIÈME PARTIE
Hakim
61. LA PROMOTION
L e matin, Rob regarda son petit d'homme à
Weitere Kostenlose Bücher