Le médecin d'Ispahan
rétablissait
vite ; ils suivaient les prescriptions d'Ibn Sina : pas de rapports
pendant six semaines après l'accouchement, doux massages du vagin à l'huile
d'olive et au miel mêlé d'eau d'orge. Le traitement réussit à merveille et
après l'interminable abstinence, ils s'étreignirent avec la même ardeur.
Quelques
semaines plus tard, elle vit s'épuiser dans ses seins le lait dont elle avait
cru la source inépuisable. Ce fut un choc. Pour apaiser les pleurs du petit
affamé, on trouva une solide Arménienne nommée Prisca, à qui Mary menait Rob J.
quatre fois par jour ; le soir, Prisca venait coucher dans l'autre pièce,
avec l'enfant et sa propre fille. Rob et Mary s'efforçaient de rester discrets
en faisant l'amour, et savouraient le repos de nuits enfin paisibles. La jeune
mère rayonnait et prenait de l'assurance ; elle semblait parfois
revendiquer pour elle seule le petit être bruyant qu'ils avaient fait ensemble,
mais Rob ne l'en aimait que davantage.
La première
semaine du mois de shaban , la caravane de Reb Moise ben Zavil, à qui Rob
avait confié son message pour Mascate, revint avec des cadeaux du père de
Mirdin et de sa veuve : Fara avait cousu six petites chemises pour
l'enfant, et le marchand de perles renvoyait à Rob le jeu du chah en souvenir
de son fils mort.
Bien que ce
passe-temps guerrier ne convînt guère à une femme, ils y jouèrent souvent par
la suite. Mary avait appris très vite et lui prenait des pièces avec un cri
sauvage digne d'un pillard seldjoukide, ou déplaçait une armée royale avec une
efficacité foudroyante. Mais il le savait depuis longtemps : Mary Cullen
était une femme étonnante.
Le ramadan
surprit Karim en pleine fièvre amoureuse. Ni les prières ni le jeûne ne
pouvaient lui faire oublier Despina et le désir qu'il avait d'elle. Ibn Sina passant
plusieurs soirées par semaine dans les mosquées et aux dîners tardifs des
mullahs ou des maîtres coraniques, les amants n'en étaient que plus libres et
se quittaient le moins possible. Ala Chah de son côté étant très pris par les
assemblées religieuses, Karim trouva l'occasion, pour la première fois depuis
des mois, de retourner au maristan. Par chance, Ibn Sina était absent, appelé
au chevet d'un malade de la cour ; il avait toujours été si bienveillant à
son égard que Karim se sentait coupable et préférait éviter le mari de Despina.
Cette visite à
l'hôpital fut une cruelle déception. Les étudiants se pressaient toujours
autour de lui, à cause de sa légende, mais il ne connaissait plus aucun malade,
les siens étant depuis longtemps morts ou guéris. Il hésitait à interroger les
patients des autres médecins, craignant de commettre quelque impair. Il comprit
avec amertume que, sans la pratique quotidienne de la médecine, il perdait le
savoir qu'il avait mis tant d'années à acquérir. Mais il n'avait pas le
choix : Ala lui avait promis près de lui un avenir beaucoup plus brillant.
Il ne courut
pas le chatir cette année-là et y assista avec le roi, qui avait en vain
renouvelé son offre de calaat à quiconque battrait le record précédent ;
personne ne releva le défi. Au cinquième tour, il ne restait en lice
qu'al-Harat et un jeune soldat rescapé de l'expédition indienne, que Karim
encourageait mais qui abandonna après la huitième flèche. Le chah et son favori
précédèrent à cheval al-Harat pendant le dernier tour pour l'accueillir dès la
fin de la course. La foule acclamait Karim, coureur incomparable, héros de
Mansoura et de Kausambi, et lui, regardant avec condescendance al-Harat le
paysan, se sentait le futur vizir de la Perse.
En passant
devant la madrassa, il reconnut sur le toit l'eunuque Wasif et, près de lui,
Despina voilée. Son cœur bondit. Mieux valait qu'elle le vît ainsi, vêtu de
soie et de lin, sur un cheval superbe, plutôt que couvert de sueur et titubant
de fatigue.
Non loin de
Despina, une femme au visage découvert, excédée de chaleur, repoussa son fichu
noir en secouant la tête comme le cheval de Karim. Ses cheveux dénoués
s'épanouirent en ondoyant autour d'elle, et le soleil y fit briller des reflets
fauves et des éclairs d'or.
« C'est
la femme du dhimmi ? L'Européenne ? demanda le chah.
– Oui,
Majesté, l'épouse de notre ami Jesse ben Benjamin.
– Je pensais
bien que c'était elle. »
Le roi ne la
quitta pas des yeux tant qu'ils ne l'eurent pas dépassée. Il ne posa plus de
questions, et Karim mit
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