Le médecin d'Ispahan
bientôt la conversation sur Dhan Vangalil, l'artisan
indien qui travaillait à sa nouvelle forge derrière les écuries du palais.
62. L'OFFRE DE RÉCOMPENSE
Rob continuait à aller chaque matin à la synagogue de la maison de la Paix.
L'étrange mélange de psalmodie juive et de prière chrétienne silencieuse lui
était devenu un plaisir et un soutien ; mais c'était surtout une façon
d'acquitter sa dette envers Mirdin. Incapable d'entrer dans la synagogue de
Zion, où il allait avec son ami, il n'avait pas envie d'y voir les érudits qui
pourraient l'aider à étudier les quatre-vingt-neuf derniers commandements. Il
finit par se dire que cinq cent vingt-quatre commandements valaient autant pour
un faux Juif que six cent treize, et il passa à d'autres préoccupations.
Ibn Sina avait
écrit sur tous les sujets. Pendant ses études, Rob lisait déjà beaucoup de ses
ouvrages de médecine, mais il découvrait maintenant la diversité de son œuvre
et l'en admirait davantage : musique et poésie, astronomie, métaphysique
et « sagesse orientale », philologie, « intellect actif »,
et un commentaire général de l'œuvre d'Aristote... Prisonnier à la forteresse
de Fardajan, il y avait composé plusieurs traités et terminé son Canon de
médecine . On lui devait un guide philosophique, le Livre des directives ,
des réflexions sur l'âme humaine, sur l'« essence de la mélancolie »,
et même un manuel militaire que Rob regrettait de n'avoir pu lire avant
l'expédition indienne.
Mais, encore
et toujours, il parlait de l'islam, la foi héritée de son père, que toute sa
science n'avait pu lui faire oublier. C'est pourquoi le peuple l'aimait. Sa
propriété luxueuse et les bénéfices du calaat, son prestige dans le monde
entier et la familiarité des rois, tout cela ne l'empêchait pas, comme le plus
humble des hommes, de lever les yeux vers le ciel en s'écriant : « Il
n'est pas d'autre Dieu que Dieu. Mahomet est le prophète de Dieu. » Chaque
matin, avant la première prière, une foule se rassemblait devant sa
maison : mendiants, mullahs, bergers, marchands, pauvres et riches, gens
de toutes conditions. Le prince des médecins, avec son tapis de prière, venait
faire ses dévotions parmi ses admirateurs, puis ils le suivaient jusqu'au
maristan, marchant près de son cheval en psalmodiant des versets du Coran.
Plusieurs fois
par semaine, ses élèves se réunissaient chez lui, généralement pour des
lectures médicales. Al-Juzjani avait lu à haute voix pendant un quart de siècle
le fameux Canon d'Ibn Sina, et Rob parfois lisait ainsi sa Shifa :
La Guérison de l'erreur . Suivait une discussion animée ; non sans
boire et plaisanter, on débattait de problèmes cliniques en des échanges
passionnés et toujours éclairants.
« Comment
le sang va jusqu'aux doigts ? criait, excédé, al-Juzjani, répétant la
question d'un élève. Tu oublies ce que dit Galien : le cœur est une pompe
qui pousse le sang !
– Ah !
disait alors Ibn Sina. Le vent aussi pousse la voile, mais comment le bateau
trouve-t-il le chemin de Bahrein ? »
Rob, en
partant, apercevait souvent l'eunuque Wasif caché dans l'ombre près de la porte
de la tour sud. Un soir, derrière le mur de la propriété, il trouva sans
surprise l'étalon gris de Karim, attaché et secouant impatiemment la tête.
Comme il revenait prendre son cheval, qui lui, n'était pas caché, il vit au
sommet de la tour une lumière jaune, vacillante, et se rappela sans envie ni
regret que Despina aimait faire l'amour à la lueur de six chandelles.
« Il y a
en nous, lui dit un jour Ibn Sina, une chose étrange – que certains appellent
l'esprit et d'autres l'âme – qui a beaucoup d'effet sur notre corps et notre
santé. J'en ai eu la preuve, étant jeune, à Boukhara, avant d'écrire mon étude
sur le pouls. J'avais un patient de mon âge, Achmed, qui ayant perdu l'appétit
maigrissait au point de désespérer son père, un riche marchand du pays. En
l'examinant, je ne trouvai rien d'anormal ; mais, comme je m'attardais à
bavarder en gardant mes doigts sur son poignet, je sentis s'accélérer son pouls
quand je mentionnai mon village natal, Efsene : un tel frémissement que
j'en fus effrayé.
« Je
connaissais bien ce village et je commençai à en citer les rues, jusqu'à celle
du Onzième-Imam, qui provoqua un nouveau tremblement. A force de l'interroger,
j'appris qu'un artisan du cuivre vivait là avec ses trois
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